La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°2 : La Geste d'Avant le Temps

La Geste d’Avant le Temps : épisode 35

Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?

Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.

La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !

Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !

Alors, vous nous suivez ? C’est parti ! Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 35 : au milieu des champs

Elestra, dans l’attente d’explications plus convaincantes, profitait de l’enthousiasme bavard d’Angélus – qui n’avait rien d’un taiseux.

« Je suppose », fit-elle en échangeant un regard sympathique avec Angélus. « Et ce chemin mène à la tour… »

« Tout juste », répondit Angélus. « C’est la tour des Gardiens du Temps. Ce sont eux qui dirigent notre planète, Rizator-III. Ils sont redoutables – surtout la Diacre. Je l’ai entendue crier jusqu’ici et le bruit… argh… m’empêche d’admirer la pousse des minutains. »

Elestra avait la tête qui tournait, les jambes qui flageolaient et l’inquiétude au fond de l’estomac. Elle se sentit vaciller.

« Est-ce que ça va ? » demanda Angélus.

« Oui… non… pas vraiment… »

Que dire ? Elle décida de lui faire confiance.

« Écoute… je ne suis pas tombée là par hasard. J’étais prisonnière dans la tour… je pense que ce sont vos Gardiens qui m’ont enlevée. Je ne sais pas du tout dans quel monde je suis, tout est étrange… mais tout le monde est à ma recherche et j’essaie de m’enfuir à tout bout de champ… d’ailleurs, c’est quoi, cet endroit ? Rizator-III ?! La Galaxie du Fuseau ? Je ne comprends rien du tout… Et que plantes-tu, d’abord ? C’est quoi, un cultempvateur ? »

Elestra regarda autour d’elle : aucun poursuivant à l’horizon (peut-être avaient-ils abandonné la partie ?), juste Angélus qui la regardait intensément. Et des champs, des champs, des champs… elle se sentait désemparée et Angélus ne disait rien. Elle avait tellement de questions. Et il ne disait rien. Il semblait aussi perdu qu’elle, abîmé dans une réflexion profonde. Pour s’occuper, elle arracha des broussailles environnantes une branche souple : peut-être le corps d’une nouvelle harpe ? Mais Angélus poussa soudain un cri, qui ressemblait à un croassement :

« Une Olilaur ! Là ! Ne bouge plus ! »

Elestra resta interdite. Une quoi ? Un être végétal rare, à hauteur de mollets, éclairait toutes les racines du hallier, en vert émeraude. On aurait dit qu’elle brillait de l’intérieur. Malgré la situation, Elestra était béate d’admiration.

« Si les plantes fournissent de la lumière, c’est que ce monde est vraiment bizarre » marmonna-t-elle pour elle-même.

  « Les Olilaurs sont inouïes », expliqua Angélus. « C’est avec elles que l’on fabrique les fuseaux et que l’on récolte les secondains. C’est rarissime et très très précieux ! »

« Sans doute… » commença Elestra, occupée à tordre le bois pour retrouver sa fidèle amie d’antan, tandis qu’Angélus jetait un œil à ses doigts habiles qui s’affairaient.

« Tu sais, les Olilaurs », continua Angélus, incollable sur le sujet. « Hé bien, elles relient le temps aux autres plantes et à la terre, l’esprit fluide et le corps solide. On les appelle souvent fuseaux horaires et c’est grâce à eux que… »

Angélus pâlit d’une traite. Pourquoi racontait-il tout ça à une étrangère ? D’ordinaire, les habitants de Rizator-III étaient plutôt méfiants et les cultempvateurs, pas vraiment curieux… pourquoi lui faire confiance ? Et le bruit de la harpe revenait le hanter… Il baissa le bec violemment. Elestra releva la tête de son ouvrage : ça ne donnera jamais une harpe convenable ! Elle avait senti le changement chez Angélus. Peut-être qu’interroger une pie géante n’était pas considéré comme très poli, sur cette planète. Elle s’assit à ses côtés, comme pour lui montrer qu’il n’avait rien à craindre. Il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie en confiance et ça… même sans ces mélodies harmonieuses au pied de son arbre.

Elestra tenait désormais la branche tordue entre ses mains. Rien à voir avec une harpe, mais elle se mit à chantonner doucement. Angélus prêta l’oreille. Comme ensorcelé, lentement, il lui confia :

« C’est un air qui m’est bien familier, ça… Je l’entends parfois, comme un chant dans ma tête, une cloche folle qui sonne… depuis toujours, j’entends des voix dans ma tête – et tout le monde me dit de ne pas y prêter attention, mais… »

Mais pour Elestra, ce chant venu de la nuit du Temps, était bien la preuve qu’elle était prisonnière ici, même parmi les épis dorés. Ce chant lui rappelait bien trop la maison. Elle s’apprêtait à ajouter quelque chose, quand tout à coup, un bruit de cavalcade lui fit lever la tête.

Ses poursuivants approchaient !

° ° °

Pendant ce temps… à l’autre bout de l’univers, dans un village dévasté par les Mange-Temps, le père d’Elestra s’impatientait. Savoir sa fille, là, comme ça, entre les griffes de ces… oh, bien sûr, il avait confiance en Hypérion, mais rester les bras croisés lui semblait intolérable.

« RAAH ! Misérables ! Je vous retrouverai ! » hurla-t-il dans le vent.

Il se leva péniblement, enfila ses savates et tira une immense couverture de laine. Le travail de toute une vie, pensa-t-il, en serrant les broderies contre lui. Cette laine, il l’avait filée à partir de la tonte de ses moutons, avant qu’Elestra ne naisse. Il se rappelait sa femme au coin du feu, à broder des heures durant, et quitta le village.

Laure-Elie Hoegen

Photo : ©Felix Mittermeier

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Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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