La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°2 : La Geste d'Avant le Temps

La Geste d’Avant le Temps : épisode 71

Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?

Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.

La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !

Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !

Alors, vous nous suivez ? C’est parti ! Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 71 : … mesures désespérées !

Hans Gerber arriva essoufflé dans la petite salle de contrôle de l’observatoire d’Arecibo.

C’était un Bernois au teint rougeaud à la moustache fournie, qui avait débuté ses études à l’École polytechnique fédérale de Zurich, puis poursuivi sa carrière aux États-Unis. Avant d’être recruté par le Programme SETI, il avait enseigné quelques années dans le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) et s’était même, en amateur, fait un nom redoutable dans le petit microcosme des amateurs de Scrabble de la côte Est. Un parcours étonnant pour un fils de fromager ! Parfois, il se disait que ses montagnes lui manquaient…

… sauf à des moments comme celui-ci, bien sûr. Il ne se doutait pas, d’ailleurs, que ça arriverait si tôt – ni même que ça arriverait tout court, pour être honnête.

Gerber avait l’impression qu’on lui avait ôté quelques cycles respiratoires, tant la nouvelle lui avait coupé le souffle. Guillaume Lacroix cavalait toujours sur ses talons, le bombardant de questions enthousiastes auxquelles il ne voulait pour l’heure pas répondre. L’excitation du jeune doctorant était palpable, et Gerber se demandait ce qu’il dirait quand toute l’affaire lui serait révélée…

Le Zirgouflex ! C’était à peine croyable. Depuis le temps qu’il attendait ce message, cet appel… enfin !

En pénétrant dans la salle de contrôle, il jeta un coup d’œil à Horacio, le supérieur de Guillaume. Horacio mâchonnait son crayon avec l’énergie d’un castor boulimique, ce qui était toujours indicateur de stress aigu chez lui. Le regard qu’ils échangèrent ne laissa aucun doute à Gerber. Comme lui, Horacio se souvenait des mystérieux hommes en noir qui les avaient un soir pris à part, dans le bar où ils avaient leurs habitudes. Ce soir-là, ils célébraient une très bonne nouvelle : le Programme SETI les avait conjointement nommés à la direction d’un de leurs laboratoires de recherche. Ils avaient bu pour fêter ça – peut-être plus que de raison. Les hommes en noir les avaient abordés, en refusant de décliner leur identité ou de s’expliquer. Ils avaient commandé une autre tournée… avant de leur révéler des choses incroyables. Pour qui travaillaient ces hommes ? Le gouvernement ? Rien n’était moins sûr. Ce que Gerber en avait retenu, c’était que la vie extraterrestre existait bel et bien ; que le Temps était une donnée bien plus quantifiable qu’on ne le pensait communément ; que Horacio et lui ne devaient parler de cela à personne sous peine de perdre des parties d’eux-mêmes auxquelles ils tenaient beaucoup… à personne, sauf en cas d’urgence – et ce « cas d’urgence » impliquait le terme Zirgouflex. Si ce terme apparaissait, de quelle que manière que ce soit, sur les écrans de contrôle du Programme SETI, la situation était grave.

Et, visiblement, Horacio pensait la même chose. Le temps était plus que compté. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard…

« Alors ? » lança Gerber à brûle-pourpoint.

« Guillaume a repéré le Zirgouflex. Nous avons tout vérifié. Aucun doute possible, Hans. »

Horacio était livide. Autour d’eux, Guillaume cavalait comme un jeune chien fou :

« Et alors ? Qu’est-ce que ça signifie ? Zirgouflex, mais ça ne veut rien dire ! Comment est-ce que… »

« Guillaume. Silence. Assieds-toi. S’il te plaît. »

Le ton de Gerber était doux, étonnamment calme. Horacio fronça les sourcils :

« Hans, on ne peut pas lui dire… »

« Tu préfères qu’il nous pose des questions jusqu’à la fin de sa thèse ? Il va devenir incontrôlable si on ne lui dit pas. On a besoin de lui ; à trois, ce sera plus facile. Et si tout se passe bien, qui pensera à nous le reprocher ? »

Après plus de douze minutes d’explications, Guillaume, perplexe, se retrouva à mettre de l’ordre dans ses idées. La vie extra-terrestre existe… une Gare permet de voyager entre les planètes… le Temps pousse dans des champs… des bestioles appelées « Mange-Temps » menacent de le dévorer… il existe une prophétie qui permet de tout arranger… et le destin de l’Univers se joue sur Rizator-III, une planète de la Galaxie du Fuseau… logique. C’était comme si ses rêves de gosse s’étaient réalisés. Sa première réaction avait été d’éclater de rire et de considérer tout ça comme une vaste blague – mais l’air grave et paniqué de ses mentors l’avait peu à peu convaincu.

« Donc, si on ne fait rien… » commença-t-il.

« Les Mange-Temps vont se répandre entre les galaxies. Après celle du Fuseau, ce sera la nôtre… d’abord, le bras du Sagittaire… puis jusqu’au bras d’Orion, la distance est infime… et ils seront sur nous, à un moment ou à un autre. Il va falloir faire vite. »

Au fil des années, Gerber et Horacio avaient reçu de nombreuses visites des hommes en noir – et, à chacune, s’étaient vu révéler des connaissances supplémentaires pour venir au bout de leur mission : empêcher les Mange-Temps de sortir de la Galaxie du Fuseau et d’atteindre la Voie lactée, si le pire se produisait. Peu à peu, l’Univers avait pris pour eux une dimension très différente de ce que leurs études académiques auraient laissé présager – sans qu’ils aient le droit d’en parler à quiconque, bien sûr. Malheureusement, les hommes en noir ne leur avaient pas tout révélé, préférant miser sur des menaces claires et des informations distillées au compte-goutte, afin de s’assurer de leur entière coopération… et de leur silence.

« Hans », appela Horacio qui trifouillait les claviers. « J’ai déjà fait basculer la fréquence. Qu’est-ce que tu préconises ? »

Gerber prit place devant un autre écran, Horacio à sa droite, Guillaume à sa gauche :

« Il nous faut tous réfléchir aux possibilités d’action, car je n’ai pas de réponse exacte. À mon avis, étant donné les informations que nous avons à notre disposition, si nous voulons aider cette galaxie lointaine et par conséquent, la nôtre… il faut parvenir à nous connecter à la Bulle locale interstellaire. À ce que nous ont dit les hommes en noir, c’est grâce à elle que les Mange-Temps s’orientent dans l’espace et peuvent quitter la Galaxie du Fuseau ; c’est aussi elle qui permet à la Gare de fonctionner. On la repère facilement : sur les capteurs, elle émet un surplus de rayons X. À mon avis, si on la traficote, on désoriente totalement les Mange-Temps… enfin, la plupart d’entre eux, car les plus puissants pourront sans doute passer outre !… mais ne pensons pas au pire pour l’instant. En tout cas, trafiquer la Bulle devrait donner à la prophétie le temps de se réaliser, et éviter que des Mange-Temps ne voyagent jusqu’à nous. Il faut juste trouver un moyen d’atteindre ladite Bulle. »

Pendant ce temps Guillaume restait pensif ; il esquissait des croquis et des ébauches mathématiques. Concentré, il n’entendit même pas Horacio l’appeler :

« Guillaume ? Tu es avec nous ? Guillaume…? »

« Mais nom d’une spirale, Monsieur ! J’ai trouvé ! Il faut activer un pulsar !  C’est la seule solution pour atteindre cette Bulle. »

Le pulsar était un objet astronomique qu’il avait autrefois étudié. Il produisait un signal périodique et très énergique permettant d’engendrer une explosion de supernova.

« Si mes calculs sont exacts », continua Guillaume, excité comme une puce, « avec cette explosion (qui n’est finalement qu’une énorme concentration d’étoiles et donc, d’éléments chimiques), il serait théoriquement possible d’atteindre la Bulle et de la mettre sur pause… le temps que la prophétie se réalise ! »

« Ce serait un gros coup de chance si ça marche », fit Gerber en jetant un regard aux calculs du jeune thésard, « mais bon, ça vaut la peine d’essayer ! »

Il entra les données de Guillaume dans le système et appuya sur un bouton. À plusieurs centaines d’années-lumière de là, un pulsar s’activa.

° ° °

Au même moment, sur Rizator-III, des crocs envahissaient le paysage. Le ciel se faisait menaçant, mais la foi des Voyageurs Temporels ne faiblissait pas ; elle était à son comble. Jamais ils n’avaient eu autant soif de se battre même s’ils devaient y perdre la vie. Face à eux, les champs étaient noirs de Mange-Temps.

Muriel Kritter et Magali Bossi

Photo : ©markusspiske

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Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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