Les réverbères : arts vivants

Cendrillon, en version plus sulfureuse à l’Alchimic

Après Chemins de sang en 2019, Frédéric Polier s’attaque à une autre revisite de conte signée Camilo Pellegrini. Dans La Marâtre, place à une Cendrillon plus rebelle, face à sa belle-mère qui l’adore un peu trop et cherche à faire renaître sa gloire passée.

L’histoire de Cendrillon, nous la connaissons, surtout celle de Disney. Avec La Marâtre, oubliez tout ce que vous connaissez. Dans un Rio tout à fait contemporain, la mère (Camille Giacobino), ancienne Claudette pour un chanteur star au Brésil, s’est reconvertie en prof de yoga. Ses deux filles, Mertia (Léonie Keller) et Myriam (Rachel Gordy), nées siamoises, ne peuvent se tenir trop proche l’une de l’autre sous peine d’être recollées. À côté d’elles, la mère donne un amour complètement démesuré à la jeune Cendrillon (Lara Khattabi), sa fille adoptive soi-disant trouvée dans une poubelle. Mais voilà qu’un jour, la pauvreté s’abat sur elles : exit les résidences secondaires, toutes vendues ou hypothéquées, alors que le château dans lequel elles vivent vient d’être perdu au poker… Coup de chance : le gouverneur organise un bal pour les 21 ans de son fils (Lionel Brady), lors duquel ce dernier devra se trouver une épouse. Voilà donc que la Marâtre et ses deux filles s’y rendent, espérant que l’une d’elles séduira le prince, tandis que Cendrillon doit rester à la maison, sa mère ne voulant surtout pas la perde. Seulement, les fantômes du passé ressurgiront pour donner aux événements une tournure plutôt inattendue.

Un univers contemporain…

La Marâtre prend donc place à notre époque, et l’emblématique carrosse en forme de citrouille est désormais motorisé, avec des roues tout-terrain ! Bref, si la trame générale rappelle bien celle du conte original, voilà que tout est transposé dans un Rio des années 2020, avec tous les travers de notre société. Le bal est retranscrit à la télévision, à la manière très people des émissions autour des Oscars® : rétrospective autour des Claudettes, interviews de stars, bandeau défilant en bas de l’écran pour annoncer les derniers gossips… Dans La Marâtre le culte de l’apparence, de la beauté et de la jeunesse retrouvée sont très présents. Pour preuve, tout ce que laisse la mère à ses filles alors qu’elle n’a plus rien sont des bijoux et des crèmes de beauté. Les deux sœurs d’ailleurs, font tout pour avoir une nouvelle robe et les plus beaux atours en vue du bal. Tout cela est lié aux jeux de pouvoir et de vengeance qui jalonnent tout le spectacle. S’il est bien sûr question de se placer auprès du Prince, le retour du passé, en la personne de Maria Antonio (Camille Figuereo), une autre ex-Claudette, amène le croustillant qu’il manquait pour compléter le tableau. La voilà qui remplace la bonne fée et conduit Cendrillon à rencontrer, elle aussi, le prince. Une rencontre qui s’avère d’ailleurs ne pas être la première, et implique un maillot de foot du Fluminense. On n’en dira pas plus ici…

Toutes ces thématiques permettent, à travers la fiction et une trame déjà bien connue, de mettre en avant les travers et autres déviances de notre société, poussées à l’extrême et qui conduisent les personnage à une certaine forme de folie. Le décor complètement molletonné rappelle d’ailleurs les cellules d’asile, et ce choix n’est sans doute pas anodin.

… pour un jeu déjanté

On en a pris l’habitude désormais avec Frédéric Polier et Camille Giacobino, les spectacles prennent souvent une tournure complètement démente. Pour preuve les précédents Vera et Salvaje. On retrouve ici un jeu parfois exagéré, à grands renforts de cris, de perruques, couleurs flashy et autres accessoires bien loin de l’univers de Disney. On évoquera ici la présence d’une tronçonneuse pour séparer les siamoises, d’armes à feu pour se défendre, ou d’un couteau pour couper les callosités sur les pieds et faire rentrer la chaussure perdue… Le tout fonctionne parfaitement avec le texte, déjanté lui aussi, de Camilo Pellegrini. Et il fallait bien que la mise en scène soit le parfait pendant des mots pour que le tout fonctionne dans l’équilibre qu’ils méritent.

Ainsi, tout donne une autre image de Cendrillon que celle qui a bercé notre enfance. Si la fin reste tout de même heureuse pour elle et le jeune prince, il n’en sera rien pour les autres protagonistes, qui se rapprochent plus de la version des Frères Grimm que de celle de Walt Disney…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La Marâtre, de Camilo Pellegrini (traduction française de Camille Giacobino), du 28 février au 19 mars au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Frédéric Polier

Avec Camille Figuereo, Camille Giacobino, Rachel Gordy, Lara Khattabi, Léonie Keller et Lionel Brady

https://alchimic.ch/la-maratre/

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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