La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 11

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 11 : les méandres du passé (2)

La soirée était déjà bien entamée et les accompagnants avaient quelques verres de trop dans le nez, que leur foie s’efforçait de masquer. Pour célébrer l’Escalade, tous s’étaient déguisés et chacun arborait fièrement cet artifice éphémère. Ils riaient et se bousculaient joyeusement.

Paul Dormeur, seize ans, cheveux noir courts, taille moyenne, était très sûr de lui. Grâce à son costume et son imagination, il s’était retrouvé embarqué dans des contrées lointaines où la principauté régnait. Ce soir, il était un Prince d’un pays exotique – d’Asie Centrale, vraisemblablement. Peut-être que c’était le Yémen ou alors le Liban ou… Il hochait de la tête lorsqu’on lui demandait lequel, mais il n’avait pas l’air d’être un émir de la géographie.

Géraldine Favre, quinze ans, était quant à elle une charmante jeune femme aux cheveux blonds et longs. Signe distinctif : son débit de parole à la seconde, semblable, à peu de choses près, à un vrai moulin à syllabes, rendu fou par la bise. Elle s’était transformée en fée maléfique, toute de noir vêtue, et transbahutant un chaudron noir en chocolat. Munie d’une clochette, elle clamait un début de discours qui commençait par ces mots : « Oyez, oyez, braves gens, petites annonces à la criée… » Mieux valait éviter de lui chercher des noises.

Jean Royaume, quatorze ans, était de son côté plutôt petit pour son âge. Il avait un attrait important pour la mode actuelle et n’avait pas fait d’effort surprenant pour l’occasion ; aussi avait-il simplement enfilé un pantalon rouge et un pullover d’un autre coloris, en portant une écharpe jaune criarde pour donner à croire qu’il était marchand drapier. Il avait un tic qui pouvait agacer et qui heureusement s’effaçait lorsqu’il était occupé : il se frottait les mains en permanence.

Gustave Aeby, seize ans et « de forte corpulence » comme il le clamait, était pour être honnête un peu en surpoids. Ses parents l’avaient inscrit au Club afin qu’il pratique de l’exercice régulièrement. Lui, ce qui l’intéressait le plus, c’était la musique. Il avait commencé la trompette tout petit, de manière autodidacte, en s’inspirant des plus grands des générations précédentes – Armstrong et Gillespie en tête. Ce week-end, il s’était mis au tambour et se passionnait pour les cortèges ; c’était donc tout naturellement qu’il s’était déguisé en musicien, arborant une veste noire en queue de pie et un chapeau haut-de-forme.

Michel Grizouille, dit « Gribouille », allait sur ses quinze ans. Ses cheveux mi-longs tombaient un peu dans le style de Kurt Albert, son idole. C’est grâce à lui qui s’est enrôlé dans le CAS, pour suivre ses traces en tant que grimpeur. Pionnier de l’escalade moderne libre, Michel progressait vite. Il s’avérait très créatif dans tous les domaines et avait passé l’heure précédant la soirée à préparer un costume très réaliste : un rocher.

Enfin, pour compléter cette petite équipe d’adolescents, François Loiseau, quatorze ans, avait vu les choses en grand. À croire que ce petit séjour en dehors de la ville lui permettait de se dévoiler chaque minute un peu plus. Il avait amené dans ses bagages une véritable copie de l’armure du pétardier Picot. Cette armure, en acier et en cuir, pesait environ dix-huit kilos. Tout fier de l’avoir sur le dos, il se pavanait et gloussait presque, en expliquant qu’il avait un oncle qui travaillait au Musée d’Art et d’Histoire, à la Salle des Armures, justement. Le casque qu’il portait était un chapel de fer d’un poids de onze kilos et quatre-cent grammes. Il semblait bien renseigné et vouait une admiration presqu’effrayante pour ce pétardier du début du XVIe siècle.

Miss Apfel, de nature très coquette, avait été prise ce soir-là d’une envie extravagante et s’était déguisée en détective privée. Chapeau melon et bottes de cuir était une série qu’elle adorait et qu’elle connaissait par cœur : c’était par ce biais-ci qu’elle avait commencé à s’intéresser aux enquêtes et à suivre celles qui émaillaient le quotidien de la Cité de Genève, en récoltant des indices que la police peinait parfois à trouver… ou ne trouvait tout simplement pas. Elle avait un flair hors du commun – ce qui l’avait un peu étonnée, au début. Peut-être une histoire de nez ? Elle ne tombait jamais malade, n’attrapait jamais de rhume. C’était une perte de temps, comme elle le disait.

Franck, quant à lui, avait voulu jouer le grand jeu et pour l’occasion, s’était déguisé en Arlequin. Cela lui correspondait à ravir, lui qui était si vif et dévoué, sachant mêler l’humour à une finesse toute particulière, en prenant garde à toujours être bienveillant. Il en pinçait pour Miss Apfel dès la première seconde où il avait croisé son regard… mais il n’osait rien dire.

La soirée battait son plein et la fête avait fière allure. Le repas était constitué d’un poulet qui avait été cuit à la broche et d’un gratin de pommes de terre. Tous attendaient avec impatience la suite… et surtout le dessert – l’espérée marmite en chocolat. Il était presque minuit. Ici, le ciel n’était pas pollué par les lumières de la ville, ce qui permettait d’observer les détails du firmament, sur un fond d’un noir d’encre.

Les jeunes s’étaient concertés tout naturellement et avaient insisté auprès de leurs accompagnants pour organiser et préparer cette partie de la soirée. Franck Burnier et Miss Apfel avaient acquiescé sans broncher, préférant se prélasser et discuter entre adultes. Dehors, on pouvait déjà observer le givre sur l’herbe. Tout était calme. On entendait parfois les sirènes d’une ambulance percer la routine d’une longue nuit d’hiver et puis tout redevenait silencieux.

À minuit et deux minutes, Gustave Aeby commença la parade en jouant un morceau du Cé qu’è lainô, bien connu à Genève et repris en chœur par Michel, Géraldine, François et Paul. Miss Apfel et Franck se tenaient autour de la table et se délectaient de ce moment musical. Jean, malheureusement pour lui, avait été pris de flatulences soudaines après le repas et avait dû gérer plusieurs pérégrinations navrantes en direction des cabinets.

C’est à minuit vingt-deux qu’on amena ENFIN l’énorme marmite en chocolat sur la table.

D’une nature très dynamique et toujours en action, Miss Apfel avait réussi à convaincre Franck d’aller admirer le ciel avec elle, avant que tout ne soit prêt du côté des jeunes. Elle avait besoin de bouger, ce dessert tardif commençait à l’agacer, son besoin de sucre était à son apogée et elle pouvait devenir très désagréable s’il n’était assouvi rapidement… autant se changer les idées en regardant les étoiles.

Soudain, on entendit un crépitement… puis un énorme bruit.

BOOUOOOOOMMMMMM !

Une explosion. La sidération les cloua tous sur place… avant qu’une seconde explosion se produise brusquement, à seize secondes d’intervalle. C’était là un travail d’orfèvre, avec une minuterie de précision pour parvenir à régler deux détonations en une. La seconde était d’une intensité beaucoup plus faible que la première et il était même difficile de savoir si elle provenait véritablement du même foyer que la décharge initiale.

Le silence parut une éternité… puis des cris commencèrent à s’élever. Au début, c’était une rumeur paniquée, inaudible, presqu’invraisemblable. Des bruits presque étouffés se perdant dans les méandres de la nuit.

C’est en enlevant les mains de Franck qui lui protégeait les oreilles que Miss Apfel eu un tressaillement et retrouva une audition presque normale. Tout vibra alors avec plus d’intensité. Ce n’était pas possible…que s’était-il passé ? Depuis la terrasse où Franck et elle était sortis prendre l’air, ils avaient une vue imprenable sur l’intérieur du Chalet des Pérouses, à plusieurs mètres d’eux. Les jeunes… ils étaient tous dedans… ils… la vue du sang sur l’immense baie vitrée faisait froid dans le dos. Étrangement, la vitre n’avait pas été soufflée par l’explosion. Derrière le verre rendu opaque par la fumée, elle distinguait des formes qui bougeaient lentement et d’autres, inertes, au sol. La buée présente dans la pièce l’empêchait de comprendre la logique de ce qui se passait. Son cerveau était bloqué. Il fallait quelque chose pour qu’il se remette en marche. Elle était tétanisée, en perte de repères.

Ce fût Franck qui la sortit de son mutisme en courant vers la maison et en ouvrant la porte vitrée. Le spectacle désolant et terrifiant donna une énergie extraordinaire à ce policier fraîchement diplômé. Il ne paniqua pas et, avant de faire quoique ce soit, composa immédiatement le 117 et le 144 – les numéros d’urgence. Bientôt les sirènes des secours déchirèrent la nuit.

Des cris de douleurs et de crainte résonnaient dans toute la bâtisse. Les secouristes ne savaient plus où donner de la tête. La partie basse du chalet s’était écroulée, laissant un trou dans la construction principale, fragilisée par le choc. Les étages supérieurs avaient été soufflés et étaient désormais uniquement accessibles avec la grue des pompiers, puisque l’escalier s’était effondré suite à la première explosion.

En bas, la scène paraissait tout droit sortie d’un film d’épouvante et il fallait être solide pour ne pas tourner de l’œil et tomber dans les vapes.

*

Bureau de François Royaume, Vieille-Ville de Genève.

Vers 16h20.

La porte s’ouvre en grinçant légèrement, ce qui a pour effet d’augmenter les battements de son cœur devenu si sensible au cours des dernières années.

La première chose qu’il décèle, avant même que ses yeux ne distinguent la silhouette qui s’engage dans l’embrasure de la porte, c’est son parfum. Un parfum qu’on n’oublie pas. Sa note de tête est légèrement épicée, poivrée même, et amène une fraîcheur immédiate. Il se retrouve catapulté, en l’espace d’une fraction de seconde, dans un vieux souvenir qu’il aurait voulu oublier à jamais : cette note de cœur qui dévoile la puissance de l’orange amère. Alõ, le parfum de Simone Apfel !

La porte vient de se refermer d’un claquement sec et étouffé. Cela le fait sursauter et il se redresse, alors qu’il s’était écroulé sur cette chaise en bois massif.

« Je crois bien qu’on se connaît un peu », dit-elle en prenant un tabouret pour s’installer juste en face de lui, à une distance d’un bras et demi.

« Ou…ou…i…oui » (il se racle la gorge) rétorque-t-il, mal à l’aise et pris d’un accès de démangeaison au coude gauche.

Muriel Kritter

La suite, c’est par ICI !
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Photo : © 12019

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