La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 12

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 12 : un traumatisme… hypnotique !

Bureau de François Royaume, Vieille-Ville de Genève.

Vers 16h22.

« Vous êtes François, François Loiseau – celui du Club Alpin Suisse, pas vrai ? La dernière fois que l’on s’est vus, me semble-t-il, une chose atroce s’était passée… n’est-ce pas ? » lui demande avec douceur Miss Apfel. L’homme, acculé dans son bureau, ressemble à une bête traquée et elle ne sait pas jusqu’à quel point elle peut tenter sa chance en remuant de douloureux souvenirs.

« Vous ne vous en souvenez pas ! » rétorque François, la voix aiguë. Il ne sert à rien de mentir ; elle se souvient de lui. Il se sent d’autant plus mal à l’aise, piégé dans un passé qu’il veut oublier et dans un présent qu’il préférerait fuir – la fête, les autres adolescents, ces deux explosions… les corps… puis les sirènes…

« Pas complètement », avoue Miss Apfel. « Je… j’étais à l’extérieur du bâtiment, quand ça s’est passé. Le… la scène est très indistincte. Je me rappelle d’un son sourd, et puis plus rien. Pourtant, en fouillant dans ma mémoire, j’ai parfois de vagues ressentis… des impressions. Rien de concret. »

« Cela recommence… comme à l’époque… » se lamente-t-il, mettant ses mains sur son visage pour cacher des larmes. Il ne lui prête pas attention, pas vraiment, pris dans sa propre terreur.

Miss Apfel se rapproche calmement, usant des mêmes gestes calmes que les dompteurs face aux animaux sauvages. Elle n’est pas sûre de tout comprendre, mais elle pressent que quelque chose d’important est en train de se jouer.

« Dites-moi ce qui va à nouveau se produire ? Est-ce que ça a un rapport avec le meurtre ? » lui demande-t-elle, en posant délicatement sa main sur son épaule.

« Je n… eux… pas… rappeler… » baragouine-t-il entre deux sanglots.

Elle inspire un grand coup. Le moment est venu de se montrer un peu plus ferme :

« Je sens que cela va impliquer plusieurs personnes et je ne veux pas d’autre mort », lui dit-elle, moitié décidée, moitié suppliante.

Il inspire un bon coup et, de la manche de sa chemise, essuie ses larmes.

« Vous ne pouvez me demander de revivre cette nuit », répond-t-il d’un ton rogue. « Le traumatisme… »

« François, la ville a besoin de vous. »

« Je fais encore des cauchemars !… je vois leurs visages… leurs sourires… et puis les bouts de leurs corps, éparpillés dans toute la maison… les murs fumants… l’odeur des… »

Il panique à nouveau, elle lui attrape les mains :

« François, vous avez des souvenirs, des souvenirs qui pourraient me permettre d’élucider ce meurtre », lui dit-elle – enfin, j’espère, ajoute-t-elle à part elle. « Vous ne serez pas seul, vous avez ma parole, je resterai à vos côtés et vous pourrez compter sur moi pour vous soutenir dans cette épreuve. Mais votre aide est indispensable. »

Brusquement, le tremblement qui l’agite s’arrête. Dans le silence, seulement traversé par le tic-tac régulier d’une horloge jurassienne, il semble prendre la plus grande décision de sa vie :

« Ok, très bien… je… je vais essayer de vous raconter ce qui s’est passé ce soir-là. »

Il s’assied et elle l’imite, approchant au plus près de lui sa chaise Second Empire, avant de prendre ses mains contre les siennes et de les serrer. François inspire, prêt à commencer… quand une soudaine pétarade dans la rue le fait sursauter.

« Non… non ! Tout compte fait, je ne peux vraiment pas y repenser. J’aimerais que vous partiez. Je dois faire attention à mon cœur. Mon… mon thérapeute dit que… »

Miss Apfel hoche la tête, consciente qu’elle n’obtiendra rien de plus. Elle se lève en soupirant, mais dit d’une voix douce :

« Je comprends… je comprends très bien, François. » Elle farfouille dans son sac, en sort une carte qu’elle dépose sur le bureau Louis XVI. « Tenez. Je vous laisse mon numéro de téléphone, au cas où. Vous pouvez me joindre à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit – j’insiste, François : à n’importe quelle heure. »

Elle lui adresse un dernier sourire, puis sort de la pièce en fermant délicatement la porte. L’inspecteur Tabazan fronce les sourcils et Jean Royaume lui adresse un regard inquiet. Miss Apfel hoche la tête : « Votre frère doit se reposer, ma vue l’a énormément choqué. »

Jean hoche la tête. À présent que les masques sont tombés, rien ne sert de mentir : il sait que cette vieille dame au regard sagace l’a reconnu, lui aussi, et qu’elle n’aura pas oublié cette sortie du Club Alpin Suisse. Qu’importe si François n’est pas vraiment son frère, il s’inquiète pour lui :

« Il ne parle jamais de cette nuit du 12 décembre 1979, mais je sais qu’après cette date, il n’a plus jamais été le même… » explique-t-il, en la regardant Miss Apfel droit dans les yeux.

« Quelle nuit du 12… » commence Tabazan, mais Miss Apfel ne lui laisse pas le temps de finir sa question.

« Inspecteur, sortons. François Royaume n’est pas en état de nous répondre. Le souvenir est beaucoup trop présent dans son esprit, et trop horrible pour qu’il y accepte de s’y confronter – même si nous avions un mandat. »

« Nous pourrions l’emmener au poste. »

« Je ne pense pas que ce soit la solution la plus diplomatique, étant donné le traumatisme. Un témoin choqué est un témoin qui ne collabore pas », fait-elle avec raison.

Tabazan se renfrogne. Plutôt que de reconnaître la sagesse du conseil, il lui lance un regard noir et grogne :

« Et vous vous dites mon assistante… vu votre succès relatif sur ce coup-là, je me demande quelle raison j’ai de vous garder… vous ne voulez pas coller aux basques de quelqu’un d’autre ? »

« Quitte à coller aux basques de quelqu’un, je préfère que ce soient les vôtres, inspecteur », rétorque-t-elle, avant d’ajouter avec un clin d’œil moqueur : « Vous me gardez sûrement pour mes formes agréables à regarder… »

Tabazan est estomaqué par son audace ; elle l’a bien mouché !

« Quelles formes ? » réplique-t-il, au tac-au-tac. « Vous êtes aussi ridée qu’une vieille pomme ! »

« Alors, c’est pour mon sourire jovial », conclue-t-elle. « Ne sous-estimez pas les vieilles pommes, inspecteur. »

Arrivés devant l’immeuble, Tabazan prend rapidement congé, lui demandant une nouvelle fois de ne-pas-interférer-sinon-je-vous-ferai-mettre-au-trou-vieille-pomme-ou-pas. Il s’engouffre sans plus de cérémonie dans sa voiture et remonte la rue. Miss Apfel le regarde partir, songeuse. Elle a une idée derrière la tête – une idée qui pourrait l’aider à découvrir l’identité du meurtrier et, par la même occasion, à guérir François de son tortueux passé…

Elle vérifie son téléphone portable : aucun sms. Heidi doit encore suivre la piste du bitume et des yeux arrachés – elle a donc encore un peu de temps devant elle avant de rejoindre sa nièce pour faire le point sur cette affaire. Elle remonte la rue, prenant la direction opposée à celle empruntée par Tabazan. Il est temps de rendre visite à une amie de longue date – Tatiana Romeniakov, une spirite et thérapeute russe qui a fui l’URSS avec pour seul bagage une petite valise et dix-sept colliers de perles. C’est elle qui l’a aidée à passer le cap de la mort de Bernier. Elle est spécialisée dans l’hypnose ericksonienne.

Ça tombe bien, son cabinet est à deux pas.

David Weber

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Photo : © geralt

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