Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
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Épisode 10 : les méandres du passé (1)
Tu l’as presque reconnu mais peut-être qu’il te manque encore un indice de taille. Je m’en occupe.
Je me frotte les mains, car tout fonctionne comme sur des roulettes. Tu as atterri pile poil où tu le devais. Tu as rencontré « qui tu connais ». Maintenant, cela va se corser afin que je jouisse de davantage de plaisir et que les fils tirés jusque-là ne soient maîtrisés que par moi. Ahaahahhh… on ne change pas les rôles en faisant croire que c’est limpide ! Ne penses-tu donc pas que je n’ai pas compris la supercherie que tu es en train de monter contre moi ? Ton bout d’ongle garde les traces d’un premier acharnement dentaire. Notre passé nous rattrape tous, à un moment donné.
Peut-être que la reine de la tarte aux pommes va devenir Tatin, finalement. Dire que tout a commencé il y a si longtemps…
* * *
Rue des Charmettes 3, en Ville de Carouge.
Mercredi 12 décembre 1979, à 6h.
Ce jour-là la météo avait annoncé un temps clair, mais froid.
Personne ne se serait attendu à ce qu’il commence à neiger de la sorte. Le thermomètre indiquait moins trois degré Celsius et il n’était que six heures du matin. Dans deux heures, elle devrait rejoindre l’équipe du Club Alpin Suisse (CAS) afin d’encadrer un petit groupe de six jeunes adolescents. Ce week-end-ci, elle s’était portée volontaire comme deuxième cheffe de course pour une cession de grimpe sur roche. Cela devait être une des dernières de la saison, avant qu’il ne fasse trop froid. Son sac était prêt. Elle était toute excitée à l’idée de caresser la roche avec ses mains de fer. Miss Apfel était une des plus jeunes chefs de course du Club, à seulement vingt-quatre ans. Son acolyte dans l’effort s’appelait Franck Burnier. Ils avaient déjà participé à quelques courses ensemble, et le courant était bien passé. Il avait organisé la location du mini-bus pour le week-end dans le canton du Jura. Franck venait de rentrer dans la police. Il n’arrêtait pas de la charrier sur les études qu’elle avait entreprises en la qualité d’apprentie archiviste.
Il était six heures et cinq minutes.
Miss Apfel aimait prendre son temps le matin et, malgré sa jeunesse, avait déjà des petites habitudes bien établies. Lorsqu’elle se réveillait, elle vérifiait que ses pantoufles rouges étaient bien alignées, comme elle les avait laissées la veille en allant se coucher. Elle partait alors se préparer dans la salle de bains, en branchant la radio à son interrupteur. Ainsi, elle avait calculé qu’elle pouvait faire des économies – mais cela personne n’en parlait, bien évidemment. Après dix minutes et onze secondes de délectation intense sous une eau tiède, elle s’habillait en fredonnant toujours ce même refrain : « …et si demain je me levais du pied gauche, que feras-tu Simone ? J’irai courir les façades en les grimpant de plus belle, je suis la plus beeeellllleeeuh… ». Baillant encore jusqu’à ce que la première goutte de café ne rentre au contact de ses lèvres, Miss Apfel renaissait dès qu’elle buvait sa première tasse. Elle était parvenue à obtenir des grains de café directement en provenance d’une modeste plantation située non loin d’un petit village d’Amérique latine. Le café – c’est Franck qui lui avait fait connaître ce nectar fabuleux qui, depuis, ne la quittait plus.
Pendant que ses tartines grillaient sur la plaque du four (elle préférait cette façon qu’avaient les tranches de pain de devenir légèrement noircies au grille-pain, qui avait tendance à se dérégler pour un oui ou pour un non), elle terminait de préparer son sac d’une capacité de trente litres. Elle reprit sa liste, soucieuse d’omettre quelque chose d’important. La montagne, c’était sacré et cette passion lui avait été transmise par feu son père, un féru de sommets, lui aussi. Avant même de savoir marcher, elle était déjà capable de réaliser un nœud de huit en un temps record. Son père en était très fier !
Tütüüüüüütüüüüt – son téléphone retentit soudain dans le hall et elle s’empressa de prendre le combiné pour répondre.
« Oui allô, j’écoute ? »
« Bonjour, Simone, c’est Franck. Je suis désolé de t’appeler ainsi, de manière si abrupte, mais je viens de me fouler le poignet en m’exerçant sur mon mur personnel…une des prises a lâché d’un coup et je n’ai rien pu faire. Il va falloir que nous organisions autre chose pour ce week-end. »
« Oh mince ! Je me faisais une joie !… J’espère que cela n’est pas trop douloureux surtout. Ne t’inquiète pas, je connais quelqu’un qui organise des camps dans un chalet à Genève, même pour le week-end, je vais l’appeler pour voir s’il est disponible ! C’est un insomniaque qui jamais ne se couche, s’il a quelque chose à faire. Espérons qu’il soit en pleine action.
Ce mystérieux surhomme était justement sur une affaire importante et ne dormait heureusement pas. C’est ainsi qu’une heure après et un coup de téléphone plus tard, grâce à son efficacité exemplaire pour se sortir de situations délicates, Miss Apfel avait réservé le Chalet des Pérouses, à Satigny, en primeur. Elle était même chanceuse, car le groupe qui avait loué le week-end précédent avait installé un mur d’escalade qui n’avait pas encore été démonté. C’était une aubaine ! Un sourire inondait son visage de satisfaction. Elle allait quand même pouvoir assouvir son besoin de grimper !
À huit heures tapantes, Miss Apfel débarquait devant le cabanon du CAS, en Ville de Carouge, pour retrouver les jeunes. Ils étaient déjà au courant du triste changement de programme. Ils avaient même tous insisté pour pouvoir fêter l’Escalade dignement ce soir, malgré tout. Franck, d’un caractère beaucoup moins trempé que Miss Apfel, s’était d’ailleurs incliné – au grand dam de sa collègue adorée. Cette dernière ne comprenait pas comment il était possible de fêter un événement si tragique qui avait eu lieu jadis et qui n’avait plus aucune incidence aujourd’hui. Cela la dépassait. L’Escalade, c’était quand même une bataille… des gens étaient morts. Et Genève fêtait encore et toujours ce massacre.
« Un jour, tu comprendras » lui dit Franck, de sept ans son aîné.
Parmi les participants, qu’elle ne connaissait pas tous, un jeune la marqua plus que les autres. C’était très certainement dû à son nom de famille (il se nommait François Loiseau, ce qu’elle trouvait plutôt poétique), mais aussi parce qu’il était très timide et qu’il s’exprimait en maintenant ses doigts entrelacés, tout en gesticulant sur place. Elle n’avait jamais vu quelqu’un de si anxieux. Il n’avait pas l’air d’aimer particulièrement les activités de groupes. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire dans cette association ? Elle griffonna ces deux lignes sur un bout de papier, qu’elle rangea dans un calepin en cuir : Loiseau est enfermé dans une cage d’air. Vérifier le parcours.
S’organiser pour charger le mini-bus, faire les courses en conséquence pour le week-end et s’installer dans le chalet prit facilement une bonne partie de la journée. L’après-midi fut ensuite consacré au travail des différentes techniques d’escalade. Miss Apfel était connue dans ce petit monde sportif pour ses connaissances des techniques de préhensions fines, telles que le pommeau et la pincette. Frank et elle divisèrent le groupe en deux, afin de proposer des sessions d’une quarantaine de minutes. Davantage aurait été trop ambitieux, car les jeunes étaient relativement dissipés et mieux valait ne pas risquer l’accident. Aussi préférèrent-ils s’arrêter peu avant dix-sept heures. Loiseau, qui avait jusque-là semblé très introverti, était à présent parfaitement dans son élément. Pourtant, c’était la seconde fois seulement qu’il mettait des chaussons. Quelle agilité ! Une grâce sensible émanait de son corps, chancelant au début pour parvenir à entrer en communion avec ce mur aux allures d’arc-en-ciel. Miss Apfel, de nature sceptique et très méfiante, observait ce jeune prodige sans piper mot. Franck et les jeunes, eux, l’admiraient déjà et l’encourageaient pour sa dernière montée sur cette face de cinquante mètres.
La fin de la journée se déroula dans la bonne humeur.
Muriel Kritter
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Une réflexion sur “Et la Marmite se brisa : épisode 10”