La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 9

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 9 : deux frères bien mystérieux

Centre Universitaire Romand de Médecine Légale, rue Michel-Servet 1.

Vers 14h30.

Les pas de l’inspecteur Tabazan résonnent dans le long couloir de la morgue. Pensif, il s’arrête et ressasse les éléments évoqués lors de l’autopsie, ainsi que ceux découverts en Vieille Ville. Vu le peu de sang retrouvé sur place, la victime a forcément été tuée ailleurs…le meurtrier a ensuite pris la peine de déplacer le corps et de mettre en place cette petite mise en scène bien macabre…

Il pense au dessin sur la main gauche du cadavre.

Aux yeux retrouvés dans la marmite.

À ce corps sans tête.

Il frémit. Et reprend sa route. Le fil de ses pensées tapant inlassablement contre un mur invisible.

Alors qu’il est sur le point de reprendre le volant, il reçoit un message de l’un des gendarmes indiquant deux potentiels témoins habitant en Vieille Ville. Il démarre son véhicule en râlant contre l’assassin :

Il n’aurait pas pu choisir un lieu avec plus de places de parking, cette enflure ?

*

Vieille Ville de Genève.

Vers 15h15.

Quand il arrive devant la porte de François et Jean Royaume, l’inspecteur Tabazan remarque tout de suite les prémisses d’une agitation certaine.

Et quand on lui ouvre la porte, il entend une voix en particulier. Cette voix. Ses épaules se crispent légèrement sous son pardessus. Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ici, celle-là ?! L’homme lui ayant ouvert la porte le sort de ses pensées.

« Bonjour… puis-je vous aider ? »

« Bonjour, Inspecteur Tabazan. Je viens vous voir car l’un de agents en poste dans la rue m’a indiqué que vous pourriez avoir des éléments à nous fournir concernant la nuit passée. C’est au sujet du meurtre devant l’Ancien-Arsenal. »

« Oh oui, en effet. » L’homme glousse. L’inspecteur lève un sourcil.

« Je m’appelle Jean Royaume. Je vous prie d’entrer. Votre assistante vous a précédé ; elle est déjà là. »

Mon assistante ! Non mais quel culot ! pense l’inspecteur en serrant les dents.

Jean Royaume l’invite à entrer. Une fois dans le salon, c’est l’immense sourire de Miss Apfel qui l’accueille.

*

Salon des frères Royaume, Vieille Ville de Genève.

Vers 15h45.

Miss Apfel se doute qu’elle est probablement allée un peu loin, en prétendant être l’assistante de ce pauvre Tabazan – mais à vrai dire, elle s’en moque. Sentant qu’il y avait anguille sous roche et qu’il valait mieux poursuivre l’enquête de voisinage, elle a laissé Heidi investiguer de son côté concernant les yeux et le bitume, pour retourner près de la scène du crime. C’est là qu’elle est tombée sur les frères Royaume, dont la fenêtre donne directement sur la place des canons. Ni une, ni deux, elle s’est incrustée. Cet inspecteur Tabazan n’a pas la trempe de son prédécesseur. Il n’a pas ce feu pour la vérité, qui la consume elle-même parfois ! Ah, si le commissaire Burnier pouvait encore être de ce monde… une ombre passe sur son visage.

Mais cet instant s’en va comme un éclair, elle retrouve son sourire et observe les frères Royaume.

Tous deux doivent être dans la cinquantaine. Jean Royaume est un petit homme plutôt jovial, presqu’un peu mielleux. Son sourire n’atteint pas toujours ses minuscules yeux brillants. Ce regard acéré contraste énormément avec le reste de sa personne. Et quel sens de la mode ! Pullover vert sapin avec une fausse cravate, pantalon jaune rayé et pantoufles rouges à pompons. Il ne tient pas en place et se frotte les mains en permanence.

Son frère, François Royaume, semble être un homme de peu de mots. Miss Apfel réalise qu’elle n’a pas entendu le son de sa voix et pourtant cela fait déjà bien trente minutes qu’elle essaie d’en savoir davantage. Jean a surtout parlé de sa bijouterie et vanté sa clientèle importante et richissime. François a les épaules affaissées, il semble fatigué, éteint, figé. Miss Apfel doit le fixer drôlement, car il tourne sa tête d’un geste vif. Il l’observe d’un air… étrange. Des frissons parcourent sa nuque. Intéressant. Ses traits lui semblent presque familiers… curieux.

Leur bref échange de regards est interrompu par l’inspecteur Tabazan, qui semble bien rouge, engoncé dans son veston et la chaleur du salon surchauffé.

« Alors, ma chère assistante, qu’avons-nous appris jusque-là ? »

« Monsieur Royaume allait justement aborder la nuit passée », répond Miss Apfel d’un ton cordial, sans se laisser démonter.

BAM !

Tous sursautent.

François Royaume s’est levé brusquement, faisant tomber son fauteuil. Il hurle soudain, comme hors de contrôle :

« Je n’ai rien à vous dire, dégagez de chez moi ! Allez, bande de poulets, DU VENT !!! »

La rage déforme ses traits. Son langage corporel fait penser à un prédateur prêt à bondir. Où est donc passé cet être éteint, enfoncé dans son fauteuil il y a encore quelques minutes ? Miss Apfel a le cœur qui bat la chamade. À ses côtés, Tabazan tente de calmer l’hystérique, aidé par Jean Royaume.

« Mais alors François, calme-toi donc ! »

Les deux frères s’affrontent du regard, pendant une minute qui semble durer des heures.

Miss Apfel, jusque-là stupéfaite, recommence à faire fonctionner ses neurones. Mais que veut bien dire cette scène ubuesque ?!

Au même instant, François semble perdre la partie, car ses épaules s’affaissent une fois de plus. Il tourne les talons et se dirige vers une pièce au fond du couloir. Il entre et claque la porte derrière lui.

BAM !

Le tableau accroché à sa porte tombe avec fracas.

L’inspecteur retient son souffle.

Il s’agit d’un dessin d’oiseau à l’encre de Chine.

*

Bureau de François Royaume, Vieille Ville de Genève.

Vers 15h55.

Les sens en éveil, le sang battant avec force dans ses veines, François Royaume tourne en rond dans son bureau.

Avec un geste désespéré, il ouvre le tiroir de son secrétaire et en sort un vieux passeport suisse. Il n’aurait jamais dû garder cette relique du passé. Il observe sa photo. Celle d’un homme encore jeune, les yeux remplis d’espoir. Le sourire aux lèvres. Il avait encore une belle tignasse brune, à ce moment-là.

Son beau sourire le ramène à cette période de l’insouciance. Cette adolescence espiègle qu’il regrette par-dessus tout. Cette date fatidique du 12 décembre 1979. Il entend encore le bruit de l’explosion, la marmite en miettes, le sang et ces cris presqu’inhumains.

Un fois encore, il déchiffre avidement l’inscription sur le passeport abîmé. François Loiseau. 11 février 1965.

Il vit dans un mensonge. Caché dans les méandres du temps. Cette date, il est quasiment seul à la connaître. L’année de sa naissance. Celle où tout a débuté.

Aujourd’hui, il sait que la mort l’attend. Mais doute que tout soit vraiment terminé.  Il a reconnu son visage, son port de tête et son air de fouineuse…

Il étouffe un sanglot dans sa gorge. Il aimerait pleurer, non pas sur son sort, mais sur les conséquences de ses choix passés.  Sur le sort de ces âmes perdues qui ont payé pour lui.

Il sait qu’il doit lui aussi passer à la caisse. D’une manière ou d’une autre.

Il s’écroule sur une chaise et se prend la tête dans les mains. Quand soudain, quelqu’un frappe doucement à sa porte.

Il regarde la poignée tourner, en écoutant les battements de son cœur s’emballer.

*

Tu t’es donc rendue là où je te voulais. L’auras-tu reconnu ? Allez-vous réveiller les fantômes du passé ? Je vous attends. Patiemment. Depuis si longtemps.

Fanny Graf

La suite, c’est par ICI !
Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

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Photo : © Gentle07

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