Et la Marmite se brisa : épisode 2

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 2 : photo et petit-déjeuner

21b rue Chausse-Coq, en Vieille Ville de Genève.

Matin du 10 décembre.

La sonnette du minuteur retentit dans la petite cuisine de Miss Apfel. Cette dernière accourt, enfile son gant de cuisine et ouvre précautionneusement le four. Elle en ressort un cake chocolat-banane, qui parfume toute la pièce. Alors qu’elle pose le moule sur le dessous de plat, elle jette un œil à l’horloge accrochée au mur : il n’est pas 9h, le petit-déjeuner est prêt et Heidi ne va pas tarder à arriver. Miss Apfel démoule le cake et le dispose sur un plat en porcelaine. Entre les crêpes, les fruits, le jus d’orange, le thé chaud, les tartines et le cake, elle a la certitude qu’Heidi trouvera son bonheur. Non qu’elle soit pénible culinairement parlant, mais Miss Apfel adore voir s’allumer dans le regard de sa nièce la lueur de surprise et de bonheur qu’elle aime tant.

« Mince ! »

Miss Apfel réalise qu’elle a failli oublier l’essentiel. Si Heidi la rejoint ce matin pour le petit-déjeuner gargantuesque, ce n’est pas uniquement pour le plaisir de voir sa tante : c’est surtout pour fêter l’enrôlement de la jeune fille dans la Compagne 1602. Véritable institution à Genève, la Compagnie réunit plus de 2’200 membres. Chaque année, elle fait revivre l’Histoire de la Cité à l’occasion des célébrations de l’Escalade, qui commémorent l’attaque (ratée) que les Savoyards du duc Charles-Emmanuel 1^er ont mené contre la ville, la nuit du 11 au 12 décembre 1602. Ne rentre pas qui veut dans la Compagnie ! C’est un réel investissement, personnel, amical, historique : il faut se faire parrainer, porter un costume d’époque… et être prêt à mettre la main à la pâte durant les manifestations officielles, qui ont pour la plupart lieu en hiver ! Heidi, avec son enthousiasme et sa passion, attendait ça depuis longtemps. Et à cette occasion, Miss Apfel lui a déniché un petit cadeau, qui, elle le sait, fera bondir de plaisir sa nièce. Alors qu’elle dispose le paquet cadeau là où devait se trouver l’assiette d’Heidi, la sonnerie de l’entrée retentit. Miss Apfel ouvre la porte et se retrouve noyée sous une masse de cheveux roux. Heidi lui saute au cou et lui colle un baiser froid et bruyant sur la joue.

« Eh bien ! » s’exclame Miss Apfel. « Quelle énergie ! »

Sans un mot mais dans un éclat de rire, Heidi pénètre dans l’appartement et se débarrasse de son manteau et son écharpe. Ses joues ont rosi à cause du froid et son nez semble glacé. En avisant la table, elle pousse une exclamation de surprise.

« Mais ! Tu as prévu à manger pour tout le quartier ! Rolala… ça a l’air trop bon. »

Sans demander son reste, elle s’installe à sa place et passe la main sur le paquet qui l’attend.

« C’est pour moi ? »

« Évidemment, pour qui d’autre ? » rétorque Miss Apfel, en prenant place en face de la jeune fille.

Avec un sourire en coin, Heidi déballe le cadeau. Son regard, déjà brillant, s’illumine en découvrant le livre que sa tante lui a choisi. Il s’agit d’un ouvrage manifestement ancien, composé de gravures anciennes représentant Genève autour des années 1500-1700.

« C’est tellement génial !! Incroyable ! Merci ! »

Miss Apfel n’est pas étonnée : elle savait qu’elle taperait dans le mille avec ce livre. Heidi a développé un intérêt pour l’histoire avec un grand H, au point qu’elle envisage de l’étudier à l’Université. Elle aime déchiffrer le passé, autant que Miss Apfel aime déchiffrer le présent.

« Bon alors, raconte-moi », dit Miss Apfel, alors qu’Heidi la libère de ses embrassades. « Quand est-ce que tu rejoins officiellement la Compagnie ? »

« Il y a une cérémonie au début du week-end des célébrations. Je te tiendrai au courant, il faut que tu viennes ! »

Miss Apfle hoche la tête.

« J’y compte bien ! Allez, mange. »

Sans se faire prier, Heidi engloutit quelques crêpes, une tartine et avale son verre de jus d’orange, pour faire bonne mesure.

« Oh, il faut que je te montre. J’ai fait une super photo sur le chemin, en venant ici. »

La jeune fille attrape son téléphone et, après quelques manipulations, tourne l’écran vers sa tante.

« Je l’ai postée ce matin sur Instagram, j’ai déjà une pétée de like. »

Miss Apfel observe la photo avec attention. On y voit la fontaine du Bourg-de-Four, un chat s’y désaltérant et un homme, de dos, les mains dans les poches, qui semble s’éloigner de l’objectif. Le soleil matinal frappe la scène, lui apportant une douceur apaisante. Alors qu’Heidi s’apprête à récupérer son portable, Miss Apfel l’arrête.

« Attends, attends. Qu’est-ce que… »

La fin de son interrogation est étouffée par un cri, résonnant dans la Vieille-Ville.

Joana Mailler

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Photo : © Daria-Yakovleva