Et la Marmite se brisa : épisode 22
Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 22 : À en perdre… la tête
Musée d’Art et d’Histoire de Genève.
Le 11 décembre, 11h00 du matin.
Dans la pénombre de l’intérieur du musée, l’inspecteur Tabazan est absorbé par les résultats des premières analyses qui lui parviennent du laboratoire scientifique.
La qualité de la liaison est mauvaise et Tabazan est obligé de tendre l’oreille, ce qui l’agace d’autant plus que le pauvre légiste Dunant – qui ne sait pas comment s’y prendre pour lui annoncer que, une fois encore, Miss Apfel avait vu juste – prend encore plus de détours qu’à son habitude, au lieu de s’en tenir à l’essentiel. Les faits, nom de… ! Tout entier absorbé par cet effort sur ses nerfs, il ne voit pas le météore, avec sa traînée flamboyante, débouler sur sa droite. L’impact est aussi brutal que la surprise est grande. L’inspecteur Tabazan est projeté contre un bas-relief tandis que son téléphone glisse en tournoyant sur le pavage du hall du musée. En essayant confusément de se relever, il met la main sur une grande étoupe cuivrée.
Heidi, étendue sur le sol, le souffle coupé par le choc, reste muette.
« Encore vous ! Décidément, on dirait que vous passez le plus clair de votre temps affalée par terre. Si votre tante a tout de la fouine, vous semblez tenir plutôt du reptile », s’exclame l’inspecteur en se ramassant sur son séant.
La jeune femme est manifestement en pleine crise de panique, elle peine à reprendre une respiration normale et elle tremble comme si elle avait vu la mort en face. Tabazan tente de la réconforter et dit d’une voix plus douce :
« Calmez-vous. Que vous arrive-t-il ? Vous ne vous sentez pas bien ? »
Pour toute réponse, Heidi jette ses bras autour du cou de l’inspecteur.
« C’est horrible ! » éructe-t-elle enfin.
« Ah… bon, doucement. Expliquez-moi. » Sur ces paroles, Tabazan se dégage avec tact de son emprise, se remet sur ses pieds et entreprend d’aider Heidi à se relever.
Celle-ci accepte volontiers la main tendue. De sa main libre, elle indique avec insistance l’aile opposée du bâtiment en bredouillant.
« C’est Picot… Picot… ! Là-bas… »
L’inspecteur Tabazan a des méthodes de travail qui lui sont propres et d’une efficacité qui s’est révélée assez variable, en fonction des enquêtes auxquelles il a pris part dans sa carrière. Néanmoins, une grande qualité de son cerveau réside dans sa faculté à catégoriser dans sa mémoire les informations, selon une logique qu’il serait incapable de décrire mais qui lui permet de faire resurgir, à partir de l’une quelconque des « entrées », et avec une grande justesse, l’ensemble des souvenirs, tout d’un bloc et dans leur contexte : nom, physionomie, lieu, activité, trait de caractère, et ainsi de suite.
« Picot ? Joël Picot, l’éboueur ? »
Heidi hoche la tête.
« Non… Picot, le pétardier. Sa tête… la tête… c’est gore ! J’ai couru ! »
Quelques minutes plus tard, Heidi a recouvré son calme et est de nouveau en possession de ses moyens. Elle ne perd pas de temps à lui raconter son étonnant périple dans le réseau sous-terrain de la Vieille Ville, préférant garder ces détails pour elle. Ce n’est pas l’essentiel, pour le moment et je crois que ma tante appréciera d’en avoir la primeur. Elle accepte néanmoins de conduire Isaac Tabazan vers la mise en scène peu ragoûtante.
Heidi est restée en retrait dans un coin de la pièce, laissant l’inspecteur inspecter de tout son saoul. Elle a dégainé son téléphone et entreprend de rédiger un long message à sa tante, sur le groupe Whatsapp qu’elles ont créé au sujet de cette enquête. Elles l’ont intitulé « Marmeetic ». Un humour potache et, par-dessus tout, une initiative qui ne seraient assurément pas du goût du représentant de police qui l’accompagne…
Le style d’écriture « texto » et les différents modes d’abréviations, familier à Heidi, n’ont pas résisté longtemps à la sagacité de sa tante, qui y a rapidement vu un moyen de communiquer efficacement avec sa nièce. Cette dernière conclut son long résumé de la situation par un « jV bi1. Tkt ».
Devant l’armure, l’inspecteur Tabazan examine quant à lui la tête exsangue. Avec ces carottes de massepain en saillie et son casque en métal, la composition ressemble à un mélange de bonhomme de neige complètement foiré et de Don Quichotte zombie.
Pendant ce temps, sur le portable de Heidi, Miss Apfel ne tarde pas à répliquer, avec moins de maîtrise du langage 2.0 :
« c fou ! suis O archives. J vérifie 1 iD dan l journal 1979. Te rejo1 D q je peux. » Le ‘plop’ signalant l’arrivée de la réponse fait se retourner le policier. Heidi, gênée comme une gamine dissipée qui se fait repérer par la maîtresse de classe, se rencogne pour prendre connaissance du message et taper sa réponse : « OK a tt. ». Elle range alors le téléphone dans la poche de son manteau, dont elle lisse ostensiblement le rabat de sa main ; une façon de montrer au flic qu’elle met un terme à une activité désobligeante.
À son tour, Tabazan sort son portable et compose un SMS à l’intention de son adjudant : Danltaz, Revenez au MAH avec la Scientifique.
Puis il prend le temps de rappeler Dunant :
« Dunant ? On a été coupé. Je crois que je tiens la tête. »
Un blanc.
« Je vous ai déjà dit : je me passe de vos blagues pourries ! »
*
Chalet des Pérouses, Satigny.
Mercredi 12 décembre 1979, à 23h50.
La nuit était froide et il faisait bien sombre sous le bosquet situé au fond du jardin, à l’arrière du chalet réservé par le petit groupe du CAS. À l’écart de la joyeuse ambiance, dont les bruits ne parvenaient que par éclats au travers des fenêtres ouvertes sur la façade opposée, une frêle silhouette se tenait assise sur un banc. Derrière elle, une ombre surgit alors.
« Alors François, je te cherche partout. Qu’est-ce que tu manigances ? »
L’apparition soudaine de Géraldine, déguisée en sorcière, ou quelque chose du genre, fit sursauter François Loiseau. Il se retourna, blême. Ses mains s’efforçaient de cacher on ne savait quoi sous son pull-over trop grand.
« Tu m’as fait peur ! »
« Peur ? Moi ? Haha… Gnarkgnarkgnark. Je suis la méchante fée. Allez, viens. On va rigoler. Tu dois remettre ton armure. Tu vas tout rater… et puis qu’est-ce que tu caches, là. Encore du chocolat ? »
Sur son banc, François se détourna à nouveau brutalement de Géraldine.
« Rien ! laisse-moi ! … je veux dire… Oui, j’arrive. Je vous rejoins. »
« Bon, Okay ! Oh là là, je ne voulais pas te brusquer, j’essaie seulement d’être sympa… On va commencer la parade. Et tout le monde t’attend pour la surprise. »
Puis en mettant sa main droite en cage devant sa bouche pour imiter le son d’un mauvais haut-parleur, Géraldine ajouta : « Toum-doum-doum…Votre attention s’il vous plaît, le pétardier Picot est attendu à l’intérieur de l’enceinte pour déclencher les hostilités. »
« J’arrive. Je vous rejoins », répéta François sur un ton résigné. Mais il ne bougea pas et garda la tête baissée, en attendant le départ de Géraldine.
Après que la carabosse se fut enfin éloignée, François ressortit un gros morceau de résine de cannabis et un petit flacon de liquide cristallin. Il resta là encore un moment, à les contempler, chacun posé dans le creux d’une main.
« La surprise »… « on va rigoler »… Je me demande si c’est une si bonne idée. Ils sont quandmême sympas avec moi…
Il soupira, puis finit par se lever. Sur le trajet en direction du chalet, une voix intérieure lui serinait : Fais-le François. Ne nous déçois pas.
Antoine Bachelier
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Photo : © NadineDoerle