La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 5

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 5 : de la Vieille Ville au Mandement

 À deux pas du Café Papon, en Vieille Ville de Genève.

Fin de matinée du 10 décembre.

Au fond de la marmite ouverte, deux yeux la fixent.

Ils flottent dans une eau brune sentant la vase, accompagnés de quelques brins d’herbes ou de roseaux, et d’amas noirs, brillants…

Après un temps qui semble une éternité, évitant de regarder les deux yeux qui jouent au bouchon dans le récipient de fonte, Miss Apfel tend lentement un doigt tremblant et touche un de ces amas… ou plutôt, y enfonce un doigt. C’est gluant, visqueux… et ça sent le pétrole.

« C’est… c’est quoi ce… cette horreur ?!? » Heidi se cache derrière elle, osant à peine regarder le contenu macabre de la marmite.

« On dirait du bitume » répond laconiquement Miss Apfel qui, depuis le temps qu’elle fréquente les bas-fonds du crime en enquêtrice amateure, n’est que très rarement surprise. « Tiens, ça me rappelle quelque chose », ajoute-t-elle en se mordant le bout de l’ongle de son auriculaire droit, ce qui, chez elle, est toujours le signe qu’elle commence à entrevoir le début du commencement d’une résolution d’énigme…

Heidi, les yeux aussi écarquillés que leurs pendants qui la regardent en flottant, explose brusquement :

« Je parlais de CES yeux… pas de ces machins gluants dans lesquels ils flottent ! On s’en fiche, de ces machins gluants! Qui a pu faire une chose pareille !!! Et à qui sont ces yeux ?! »

Avisant les trois éboueurs pétrifiés, elle hurle, à deux doigts de l’hystérie :

 « Ce sont eux ! J’en suis sûre ! »

À force de crier, elle finit par attirer une foule de curieux qui s’assemblent autour du petit groupe afin d’apercevoir ce qui provoque autant de cris et d’énervement. Le ton monte, les éboueurs pris à parti essayent de se disculper, on va en venir aux mains… Miss Apfel, bien droite au milieu de tout ça, réfléchit intensément sans paraître s’apercevoir du chambardement qui l’entoure, alors que Heidi se crêpe le chignon avec l’éboueuse… quand tout à coup, des coups de sifflet retentissent.

« Circulez, Messieurs-Dames. Circulez. »

Les forces de police viennent enfin d’arriver, dispersant les badauds et faisant place à l’inspecteur Tabazan, le front plissé par la contrariété.

« Tiens, Miss Apfel. C’est donc vous qui êtes à l’origine de cette émeute ? »

« Oh, bonjour inspecteur », lance-t-elle d’un ton à la fois innocent et jovial. « Pas du tout, je me trouvais simplement là par hasard… et, du reste, je pars immédiatement afin de vous laisser exercer votre art », conclue-t-elle en tirant Heidi par la manche en direction de l’Arsenal. « Suis-moi. Dépêche-toi ! On n’a pas de temps à perdre », murmure-t-elle à sa nièce.

« Mais enfin… on va où ? »

Sans lui répondre, contournant les canons et jetant à peine un regard à la scène de crime remplie de policiers, Miss Apfel monte quatre à quatre la volée de marches qui conduit aux Archives d’État, Heidi sur ses talons.

*

Archives d’État de Genève, rue de l’Hôtel-de-Ville 1.

Bientôt midi.

« Vous désirez ? »

Sortant de derrière le comptoir, la voix aigrelette de Cathy Piaget, trente-quatre ans, archiviste à l’État depuis douze ans, surprend Miss Apfel. C’est amusant, sa voix ne va pas du tout avec son physique, elle paraît jeune, pourtant… bon, c’est vrai qu’elle fait vieillotte, avec ses habits de grand-mère achetés au marché aux puces…

« VOUS DÉSIREZ ? » demande avec plus d’insistance la voix aigrelette, l’interrompant dans ses réflexions.

Miss Apfel connaît bien la maison, elle qui a été archiviste avant de prendre sa retraite. Elle n’a jamais vraiment parlé à l’actuelle titulaire, bien qu’elle ait déjà entendu son nom, mais elle sait d’expérience qu’avec ce genre d’animaux-là, mieux vaut jouer les naïfs et faire profil bas pour obtenir ce que l’on veut… Elle tente un bluff :

« Bonjour. Je fais actuellement une recherche sur la géologie du canton de Genève – j’aide ma nièce, Heidi, pour un devoir à rendre pour l’école, vous savez comment sont les jeunes, sortis d’Internet, ils ne savent pas trouver les informations au bon endroit… et j’aimerais savoir si vous avez dans vos archives des documents se rapportant au… bitume. »

« Au bitume ? »

 Cathy Piaget la regarde avec suspicion, comme une bête qui n’aime pas être dérangée dans sa tanière.

« Oui, au bitume. Cette matière… heu… visqueuse… qui sent le pétrole… et qui sert à… »

« C’est le prof de bio qui nous a demandé de faire un travail sur les dérivés du pétrole », interrompt Heidi, qui a retrouvé sa gouaille et son aplomb. « Et comme Aglaë, la chouchoutte du prof, a son père qui bosse dans une compagnie pétrolière, elle va encore avoir une super note et moi j’en ai marre, alors j’ai demandé à ma tante si on pouvait pas dénicher un truc super-vachement-transcendant pour que j’ai enfin un meilleur exposé que cette gourde d’Aglaë, et ma tante a dit que la dame des Archives (donc, vous) était super bonne pour trouver des trucs géniaux ! »

Elle interrompt sa tirade, à peine essoufflée, sous les yeux ébahis de Miss Apfel, gratifiant l’archiviste de son plus beau sourire. Celle-ci se radoucit instantanément :

« Mais oui, bien sûr. Je vous cherche ça tout de suite. »

Et elle disparaît dans ses fiches, engloutie par les tiroirs sans fin derrière son bureau. Miss Apfel jette un regard admiratif à sa nièce.

« Ben quoi ? » chuchote Heidi. « Fallait bien que je te sauve, tu t’enfonçais… bien que je ne sache pas du tout ce que tu espères ! »

La voix aigrelette l’interrompt alors :

« Alors. Voilà ce que j’ai trouvé : le bitume genevois a été exploité en petites quantités au XIXe siècle, et servait à graisser les chars, calfeutrer les barques et à… tiens, c’est étonnant… il était aussi utilisé pour graisser les rouages des montres et des boîtes à musique fabriquées par les horlogers et joailliers genevois. »

Miss Apfel enchaîne :

« Et où en trouvait-on, dans le canton ? »

« Mmmmh… eh bien… à Dardagny… dans les grottes de la Roulavaz, qui se jette dans l’Allondon ! » annonce triomphalement l’archiviste.

Miss Apfel se redresse. « Heidi, on fonce à la campagne ! »

Sylvie Bossi

La suite arrive vendredi prochain, à 17h !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Tu n’as pas froid aux yeux et tu veux nous rejoindre ? N’hésite pas à nous envoyer un petit mot et toutes les informations pour ta prochaine enquête littéraire suivront…

Photo : © congerdesign

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