La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 4

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 4 : au Café Papon

Déjà au travail, à ce que je vois ! Tu n’as pas perdu une minute, quoi ! Comme quand tu trouvais un indice dans les documents que ton travail d’archiviste te permettait d’examiner en primeur ! Je me demande bien comment tu vas t’y prendre pour suivre la piste que je t’ai préparée…Tu as déjà repéré l’indice que j’ai laissé, bien en vue sur la photo prise par ta nièce… Mais ça, c’était facile… Maintenant, comme prévu, tu as envoyé Heidi le récupérer sur la fontaine du Bour-de-Four… Et tu l’attends, en essayant de capter un maximum d’infos depuis la place stratégique où tu t’es installée pour déguster ton capuccino… Mais vas-tu réussir le prochain défi que je t’ai concocté ? J’en doute, mais je suis bien entendu là pour intervenir et te l’offrir sur un plateau si tu échoues…

*

Café Papon, en Vieille Ville de Genève.

Fin de matinée du 10 décembre.

L’inspecteur Tabazan sirote son troisième café du matin, accoudé au plateau de marbre rond de la table de bistrot.

La pièce surélevée du Café Papon est idéalement située en haut d’une volée de marches. On passe devant sa baie vitrée pour sortir par la porte donnant sur la rue Henry-Fazy. Le policier cogite en solitaire dans cette partie du légendaire café genevois, réhabilité après une longue éclipse dans les années quatre-vingt. Le jeune inspecteur de trente-trois ans passe deux mains, baguées à l’annulaire, dans sa crinière noire, gominée et coiffée en arrière, qui avec sa barbe soigneusement taillée, lui donne un style d’ispettore de série italienne. Tabazan a besoin de réfléchir après avoir interrogé informellement le troisième des employés de voirie qui ont découvert le corps et donné l’alerte quelques heures plus tôt.

Il essaie de ne pas regarder en direction de la fouineuse de service, Miss Apfel, qui déguste son deuxième cappuccino dans la grande salle aux tables en grande partie dressées pour le dîner. Par bonheur, une vitre les sépare, pense-t-il. Plus tôt, en la voyant lui emboîter le pas, Tabazan s’est contenté de répondre au sourire qui accompagnait son bonjour de la main par un bref signe de tête, la bouche pincée. Une formalité dont il s’acquitte de mauvaise grâce, après avoir dû subir son furetage bourdonnant autour des enquêtes durant de trop longues années.  S’il reconnaît à la « fouine » quelque talent pour débusquer des détails cruciaux ayant aidé à résoudre certaines énigmes, il s’étonne toujours que son ancien supérieur, le commissaire Burnier, ait entretenu une si longue relation avec une telle emmerdeuse. Certes, ces deux-là n’avaient jamais vécu ensemble, ceci expliquait sans doute cela. L’une donnant du piment à un célibat jusque là endurci, et l’autre cherchant à adoucir son veuvage trop précoce… Il y avait bien sûr leur passion commune, qui jointe au physique athlétique de cette grande belle femme sportive, avait dû jouer en sa faveur. Son regard bleu acier et son casque de cheveux teints en noir corbeau coupés à la« Cléopâtre » avaient fait le reste. Sous ses airs d’austère calviniste, le défunt commissaire y avait peut-être vu une Valentina helvétique… Héroïne de Crepax ou pas, cette varappeuse émérite avait dû se montrer particulièrement attirante pour le commissaire passionné d’alpinisme. On racontait que c’était en se désencordant imprudemment d’elle sur l’arête effilée du Zinalrothorn qu’il avait glissé dans le vide…

Depuis le décès de Burnier, une fois sortie d’une longue retraite silencieuse, Miss Apfel s’est dans un premier temps montrée plus discrète – elle aurait mieux fait de le rester, songe en lui-même Tabazan. Malheureusement, l’âge aidant, elle a finalement pris une autre retraite, de son travail d’archiviste celle-là, libérant son temps pour fouiner sans entraves dans les enquêtes des ex-collègues de son amant. On se croirait dans un mauvais roman policier, dans le genre de ceux qui sentent les roses et le tea time sacré de la fin d’après-midi…

Tabazan, se laisse aller à rêvasser un instant à cette évocation. Il donne un bref coup d’œil en direction du poste d’observation de la« fouine ». À cet instant, il aperçoit une toute jeune fille aux magnifiques cheveux écureuil s’asseoir en face de Miss Apfel. À l’interrogation muette de cette dernière, la jeune filles e contente de répondre par le geste universel de celle qui rentre bredouille d’une mission : elle écarte les bras, paumes levées, en hochant la tête…

C’est le moment que choisissent les trois témoins, parvenus au terme de leur longue pause, pour vider leurs bières à trois tables de là, et retourner chasser les dernières feuilles mortes sur la Promenade de la Treille…

*

« Alors c’est vous qui avez découvert le corps ? » lance Miss Apfel en les abordant de front, comme à son habitude.

« Euh… comment vous savez ? » répond Joël Picot, le plus jeune des trois éboueurs, un grand maigre au chignon mal ajusté sous son bonnet péruvien.

Perplexe devant cette entrée en matière, il regarde ses collègues, incrédule.

Emmanuelle Veterini, une trentenaire un peu boulotte au cou tatoué, aux oreilles percées en chapelet et aux cheveux colorés en rouge, enchaîne, interloquée:

« Et d’abord, vous êtes qui ? »

« Oh, je suis une “voisine”, en quelque sorte ; j’ai travaillé trente-cinq ans au-dessus du lieu du crime, pour être précise. »

Miss Apfel pointe l’index en direction de l’Arsenal où on distingue tout juste l’angle de la loggia aux canons, face au Café de l’Hôtel-de-Ville, et de l’étage des Archives cantonales, déclenchant les froncements de sourcils incrédules chez son interlocutrice.

« Alors on est déjà dans le Vingt Minutes » ? ajoute Charles Brandt, le troisième employé, une souffleuse à la main. La quarantaine joviale, il semble issu de la même tribu urbaine qu’Emmanuelle, avec un magnifique tatouage facial en forme de sabre.

« Euh, pas vraiment », se lance Heidi, gênée de l’intrusion de sa tante. « Merci, en tout cas, on va vous laiss… »

Mais son regard s’arrête sur une grosse marmite, dont la panse et le couvercle dépassent des feuilles entassées au creux du char à bras que Joël Picot, qui affectionne cet auxiliaire rétro, a déjà rejoint, balai en main, dans un haussement d’épaules. Elle sort son portable de sa poche, jette un œil à la photo qui l’a contrainte à  retourner au Bourg-de-Four et la montre à sa tante qui acquiesce du chef.

« Et cette marmite, vous… l’avez trouvée où ? » l’interroge Heidi.

L’interpellé regarde le récipient métallique, tout aussi étonné que la jeune fille. Il est clair qu’il le découvre à l’instant.

« Parce que la dernière fois que je l’ai vue, ce n’était pas dans votre chariot. Elle était en équilibre sur la fontaine du Bourg-de-Four », poursuit-elle. « Comme ça », ajoute-t-elle en exhibant la photo qu’elle a prise le matin même.

Miss Apfel s’approche du char, tous ses sens de limière aux aguets. Elle se met à dégager le récipient d’étain des feuilles qui cachent une inscription en lettres, magnifiquement gravées à l’ancienne sur le métal froid.

Elle lit :

On Savoyar, uprè de la Mounia,
Y fu tüa d’on gran cou de marmita
Qu’onna fenna li accouilla dessu ;
I tomba mour, frai et rai eitandu.
*
Onna teita à l’arsenal y a lassia
Que le borrio a copa et transsia,
Pè lé bouta su on canon)
Pè lé montra à celeu que veudron.

« Euh… c’est en quelle langue ? » s’exclame Heidi.

« Une langue que tu ferais mieux d’apprendre au plus vite, si tu veux faire bonne figure à la Compagnie 1602, ma chérie », lui répond malicieusement sa tante. « C’est du franco-provençal, autrement dit, le patois genevois de l’époque de l’Escalade, la langue du Cé qu’è lainô ! »

« D’accord, mais ça veut dire quoi ? » balbutie Charles Brandt.

« Eh bien ce sont juste deux des soixante-huit couplets de notre chant patriotique de l’Escalade… mais le second me semble un peu modifié pour la circonstance… »

Sans hésitation, Miss Apfel traduit d’une traite :

Un Savoyard près de la Monnaie
Fut tué d’un grand coup de marmite
Qu’une femme lui jeta dessus
Il tomba mort, froid et raide étendu
*
À l’arsenal il laissa une tête
Que le bourreau coupa et trancha
Pour la jeter sur un canon
Et la montrer à ceux qui voudront.

Soudain en proie à une irrépressible intuition, Heidi n’attend pas que sa tante se ressaisisse de sa stupeur : elle lève lentement le couvercle…

Prise d’un haut le cœur, elle le laisse tomber dans les feuilles alors qu’en reculant, elle enfouit son visage dans ses mains.

Miss Apfel vient se pencher sur la marmite ouverte. Glacée d’effroi, les yeux exorbités, ce n’est qu’au prix d’un immense effort qu’elle parvient à étouffer un cri. Les seuls mots que sa gorge nouée consent à éructer avant de reculer d’horreur figent le sang du trio de témoins :

« Non !!! Ce n’est pas possible  !!! »

Olivier May

La suite, c’est par ICI !

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Photo : © missingpinky

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