La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 7

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 7 : Heidi… dans les limbes

 Quelque part.

Début de l’après-midi du 10 décembre.

La tante et sa nièce font volte-face. Les pas ne sont encore qu’un bruit indirect, largement distordu par la réverbération sur les parois de la caverne, mais une silhouette, ou plutôt une ombre, semble se mouvoir depuis l’entrée. Les pas se rapprochent, alternant avec les plic-ploc de l’eau s’égouttant des stalactites au plafond de la grotte, les contours de la forme se précisent, sans qu’on ne distingue rien de la personne dans le halo du contre-jour.

« Qu’est-ce que vous fichez là ? »

Heidi a le souffle coupé. Son cœur bat douloureusement. La question tourne en boucle dans sa tête, variant les accents toniques à chaque répétition. Qu’est-ce que vous fichez là ?, Qu’est-ce que vous fichez là ?Qu’est-ce que vous fichez,  ?, Qu’est-ce que vous fichez là ?, Qu’est-ce que vous fichez là ?Qu’est … Heidi est prise dans un tourbillon de mots qui lui donne le vertige, elle a la sensation de s’engluer dans la vasque de bitume, les bruits sont étouffés, la lumière lui parvient à peine, comme un faisceau lointain mais qui s’intensifie toujours davantage. Et ces yeux qui la regardent… Des gouttes froides perlent sur son visage…

« Heidi, tu m’entends ma chérie ? Heidi, réponds-moi ! »

Miss Apfel est agenouillée au-dessus de sa nièce. Cette dernière, reprend doucement ses esprits, allongée au milieu de sa farandole de cheveux roux.

« Hmmm ? Que se passe-t-il ? »

« Eh bien, il semble que toutes ces émotions te soient montées à la tête. Peut-être aussi que toute la dose de sucre que tu as ingurgitée – et je me sens coupable de ça – n’a rien arrangé. Toujours est-il qu’en sortant du bâtiment des Archives, tu as tourné de l’œil et tu t’es affalée sur le pavé. Cela fait maintenant plusieurs minutes que tu es dans les vapes sous ces arcades… »

Relevant lentement la tête, Heidi, le regard embrumé, entrevoit les piliers de l’Ancien Arsenal, les canons derrière le périmètre de sécurité mis en place par la police, ainsi que l’immeuble, de l’autre côté de la rue, dont la façade sans volets lui fait l’effet d’un calendrier de l’avent, chaque fenêtre cachant un intérieur différent.

« Oh rien de méchant, certainement », repart Miss Apfel, « tu t’es mise assez tôt à ronfler et à gesticuler comme dans un rêve, mais il a fallu un peu de temps pour que tu reprennes connaissance. J’ai dû envoyer l’inspecteur Tabazan chercher de l’eau pour t’en asperger le visage. Tu pourras lui dire merci. »

Tabazan se tient, stoïque, un pichet d’eau en faïence imitation « chope en bois », emprunté à la terrasse d’un bar voisin, dans les mains.

« Protéger et servir, comme on dit, c’est notre mission. Mais maintenant que la jeune fille va visiblement mieux, je vous repose ma question, Miss Apfel : qu’est-ce que vous fichez ici ? Vu votre curriculum, je ne doute pas que vous soyez familière avec les procédures de la police en cas d’homicide, mais en l’espèce, vous me permettrez toutefois d’attirer votre attention (et pardonnez-moi si le ton est un peu vif) sur le fait que le présent lieu est ce que l’on appelle, dans les séries télé, une scène de crime et, pour autant que je m’en souvienne, Miss Apfel, vous ne faites plus partie des effectifs des Archives cantonales. Alors qu’est-ce qui justifie votre présence ici, à part cette fâcheuse habitude que vous avez de traîner vos guêtres au beau milieu des enquêtes, de surcroît dans un périmètre interdit, et venir fourrer votre nez là où il n’est pas le bienvenu, au risque de saloper les indices par-dessus le marché ? »

« Eh bien nous étions à la recherche de… d’informations sur le bitume, c’est-à-dire, de sa provenance, en quelque sorte, ses diverses utilisations … »

Après tout, inutile de tergiverser avec le pauvre Isaac Tabazan. Miss Apfel, reprenant sa contenance, aide sa nièce à se remettre sur pied et opte pour un discours plus pragmatique :

« Bien, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps. » (Tout en devisant, elle lorgne du côté des canons.) « Je vois par ailleurs que votre équipe semble bien affairée et que votre renfort ne sera pas du luxe. Il ne s’agirait pas de passer à côté d’un précieux indice. »

Au gré des mouvements d’un officier de police, par l’entrebâillement de la bâche qui encercle la victime juchée sur sa pièce d’artillerie, Miss Apfel aperçoit furtivement sa veste de tweed, élimée au coude.

« Je m’étonne cependant que le corps soit encore en place, que fait donc le légiste ? »

Puis d’un ton plus affirmé :

« Inspecteur, pensez-vous qu’il s’agisse de l’œuvre d’un maniaque ? »

Après une longue inspiration, Tabazan réponds d’un ton le plus calme possible :

« Je vais vous dire le fond de ma pensée Miss Apfel. Prenez-le comme un conseil de la part d’un ami, prenez-le comme un tuyau de la part d’un compère, prenez-le comme un ordre de la part d’un officier de police, comme une requête, une recommandation, une admonestation… Prenez-le comme un affront ou comme une supplique. À la fin, prenez-le comme vous voulez… rentrez chez vous, Miss Apfel ! »

« Tout à fait, inspecteur. Nous projetions justement une petite promenade à la campagne. Mais après tout, rien ne presse et vu les circonstances, un petit temps de repos ne nous fera pas de mal. Allons, tu viens Heidi ? Tu vas pouvoir marcher jusqu’à la maison, oui ? Bien. Au revoir, inspecteur. »

« C’est ça. Bonjour chez vous ! », maugrée l’inspecteur Tabazan, tandis que Miss Apfel, offrant le soutien de son bras à sa nièce, commence déjà à s’éloigner dans son dos et s’engager dans la rue de l’Hôtel de ville.

« Au fait inspecteur, connaît-on l’identité de la malheureuse victime ? »

« Foutez-moi le camp ! »

Au premier étage du numéro 6 de la Rue du Puits Saint Pierre, le citoyen Jean Royaume, ahuri par le cri furieux, en laisse tomber une sucrette de trop dans son déca.

*

21b rue Chausse-Coq, en Vieille Ville de Genève.

Vers 13 heures.

Dans la cuisine de Miss Apfel, les deux femmes sont réunies, en dépit de l’heure, autour d’une tasse de thé réconfortante, mais dans un environnement expurgé de toute tentation pâtissière. Heidi, vaguement nauséeuse, fait face à sa tasse encore fumante qu’elle ne parvient pas à se décider à boire. Des volutes à la surface, elle imagine voir resurgir un œil à tout moment.

« Raconte-moi ça, Heidi. Ainsi tu as fait un rêve pendant que je m’échinais à te ramener à nous ? » encourage sa tante.

« Un cauchemar, plutôt. Même si je ne sais pas vraiment ce qui est pire. La réalité de ces dernières heures ou ce rêve bizarre. Enfin, bref ! Nous étions parties à la campagne, dans le Mandement, chercher les sources de bitume – pas sûre que ce soit le bon terme… »

Et Heidi raconte à sa tante, avec force détails, les souvenirs étonnamment vivaces de leur périple imaginaire.

« Intéressant, intéressant ! Vois-tu, je ne crois pas aux rêves prémonitoires ni à la médiumnité, mais en revanche les rêves sont un réservoir d’idées et, pour peu qu’on y prête un tant soit peu d’attention, ils peuvent s’avérer être de puissants révélateurs. On y retrouve bien entendu des évocations manifestes d’expériences vécues les heures précédentes ou les jours passés, on y reconnaît parfois des faits marquants à peine déguisés. Bien sûr, la symbolique est propre à chacun. Et le scénario onirique recompose les lieux, change les personnages, crée des chimères, prend des raccourcis spatio-temporels ou réinvente tout l’enchaînement des faits. Mais parfois aussi, des petites choses, des détails insignifiants, y tiennent un rôle majeur, alors que notre attention était passée complètement à côté. Par exemple, cette carotte en pierres précieuses… D’ailleurs … »

Miss Apfel s’interrompt, soudain absorbée par ses pensées :

« Une enquête, c’est un peu comme l’escalade à vue. On progresse petit à petit, on tâtonne pour trouver les indices comme on cherche les prises les plus exploitables ; on s’écarte parfois de l’itinéraire et il faut se forcer à revenir dans la bonne ligne. La clé tient souvent à une prise que l’on n’avait pas détectée de prime abord ; mais le plus important, c’est la vision d’ensemble, la mise en contexte, prendre du recul afin d’observer le cheminement depuis le pied de la paroi, lorsque l’on peut encore appréhender l’ensemble de la face, détecter les dangers objectifs … »

Miss Apfel prend une gorgée de thé et sans même avoir fini de déglutir, d’un air faussement pincé, elle dit en regardant sa nièce droit dans les yeux : « En tout cas, cela en dit long sur ce que tu penses de ma façon de conduire ! »

Antoine Bachelier

La suite, c’est par ICI !
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Photo : © kalhh

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