La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°2 : La Geste d'Avant le Temps

La Geste d’Avant le Temps : épisode 29

Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?

Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.

La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !

Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !

Alors, vous nous suivez ? C’est parti !

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 29 : attente en Gare

S’il avait été plutôt rapide de quitter le Désert des Larmes Sèches pour la Gare, Hypérion et Je’An apprirent non sans une certaine impatience que la réciproque n’était pas vraie.

Les départs depuis la Gare se programmaient avec des horaires calculés selon une pulsation bien précise. Et s’il n’y avait, ici, pas de risques liés au croisement de lignes de chemins de fer (ou au télescopage de dirigeables), il se générait néanmoins des flux très importants de voyageurs, qu’il fallait réguler pour ne pas saturer la Galaxie du Fuseau. Surcharger cette dernière avait déjà provoqué la déroute de voyageurs il y avait plusieurs décennies, jusqu’à en égarer certains dans le Néant – un Non-lieu fort redouté, dont la simple évocation ébranlait la notion même d’existence. La S.I.P.S.T avait depuis une peur bleue de perdre la confiance de ses usagers, et avait mis au point un algorithme très sophistiqué pour gérer les voyages via les portails spatiaux-temporels. C’est du moins ce que leur avait confié l’un des Sauropsides visqueux en charge de la surveillance des quais.

De la patience, donc.

Les logiques de calcul de l’algorithme résistaient cependant à la compréhension d’Hypérion, qui fixait depuis de longues heures le tableau lumineux des annonces d’ouvertures de portails, dans le hall principal, à côté du Métronome. Assis contre un mur, les bras noués autour des mollets, il tentait de réchauffer le bout de son nez en le frottant contre ses genoux.

Les arrivées en Gare étaient imprévisibles et prioritaires, cela il l’avait bien compris à force de voir le nom de planètes inconnues faire irruption de façon inopinée dans la liste des portails en attente. Les départs, quant à eux, étaient constamment évalués et réévalués selon un degré d’urgence estimé par la S.I.P.S.T. – quelle que soit la signification qui se cachait derrière « degré d’urgence ». Hypérion trouvait qu’il y avait quelque chose de profondément désespérant dans ce système des priorités, et il se demandait comment on pouvait bien juger du degré d’urgence de sa mission. Sa mission… Ses pensées étaient obnubilées par Elestra et il n’avait pas follement envie de retourner dans son monde. Il avait le sentiment de rebrousser chemin, alors qu’il pensait s’être un peu rapproché de son amie en franchissant le portail du Désert…

Je’An le sortit de sa réflexion. Il revenait bredouille d’un distributeur dans lequel il n’avait pas trouvé de quoi se sustenter. L’appareil, en plus d’être particulièrement récalcitrant, affichait sur son écran tapageur un contenu pour le moins décevant, que le jeune Fre’Hem n’avait pu obtenir – même après des tentatives musclées :

« Rien que des graines temporelles ! Je ne sais même pas de quoi il s’agit, mais je ne suis pas certain que ça se mette sous la dent… Il faudra dans tous les cas se procurer de la petite monnaie universelle si nous voulons en acheter. »

Hypérion haussa les épaules en guise de remerciement. Il baissa les yeux sur la harpe posée à ses pieds, et pensa à Elestra ainsi qu’à la mystérieuse Boru. Il prit délicatement l’instrument et le scruta de très près, comme pour essayer de sonder le secret du bois. Il perçut un chuintement à peine audible qui enveloppait la harpe, ainsi qu’une nuée de minuscules particules de poussière étoilée tout autour. Il eut l’intuition, plus forte encore que dans le Désert, que la harpe ne l’accompagnait pas par hasard. Il fit doucement tinter les cordes qui résonnèrent dans un magnifique écho.

Soudain, c’est comme si le grand hall accusait réception d’un signal.

Le Métronome sembla s’affoler et perdit le rythme. La première ligne du tableau lumineux grésilla, rendant les inscriptions illisibles. Les différentes créatures de la Gare se figèrent et tous les usagers s’adressèrent des regards circonspects. Hypérion crut que sa vue se brouillait mais il reconnut rapidement devant lui le miroitement caractéristique de l’apparition d’un portail : dans le cœur du hall de la Gare était en train de se former un passage spatio-temporel puissamment lumineux, rehaussé par la blancheur du marbre. Les Sauropsides rampaient dans tous les sens à vive allure, paniqués, appuyant frénétiquement sur leur badge comme pour transmettre des messages en morse. Tout à coup, tous reconnurent le son caractéristique des haut-parleurs annonçant un prochain départ imminent. Hypérion et Je’An levèrent les yeux vers le tableau d’affichage et clignèrent des paupières à l’apparition de la destination tant convoitée : Rizator-III.

Hypnotisé, Hypérion se leva de façon tout à fait gracile et, les doigts crispés sur la harpe, il se dirigea vers le portail pour en contempler les remous incandescents. Son attitude détonnait dans l’agitation alentour ; les oreilles bourdonnantes, il ne s’aperçut que trop tard de la présence du Sauropside qui venait de lui couper la route par la droite. Son pied gauche heurta une queue serpentante bleutée, et tandis qu’il essayait de se rattraper de son autre pied sur le sol laissé poisseux…

… il glissa tête la première dans le portail.

Julie Mengelle

Photo : ©Patsacha

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