Les réverbères : arts vivants

Réveiller la folie qui est en nous

Pour poursuivre ses Olympiades théâtrales, le studio d’action théâtrale du Galpon présente Une nuit de folie ordinaire, une création qui s’appuie sur Les Bacchantes d’Euripide. La folie est au centre, que ce soit celle du jeu, du monde, ou celle, plus personnelle, de  chacun·e…

Tout commence dans le foyer du théâtre : sept fous et folles se déplacent au rythme du piano, derrière de grandes vitres, entonnant petit à petit un chant collectif, avant de rejoindre le public et de l’inviter à les rejoindre dans la grande salle et dans leur folie. Dans leur asile, à la nuit tombée, iels jouent pour un public imaginaire. Une idée née du confinement, alors qu’il n’y avait pas de spectateur·trice·s dans les salles, et qu’il fallait continuer à travailler tant bien que mal, dans l’ombre. De quoi devenir fou ? Durant les nonantes minutes du spectacles, iels invoquent Dionysos et interprètent tour à tour des personnages des Bacchantes ou d’autres qui ne sont pas nommés. Les passages de la pièce d’Euripide se mêlent à d’autres, fruits de la création de l’équipe du studio d’action théâtrale, pour une pièce qui a pour seul fil rouge la folie de ses personnages.

Revenir à l’essence du théâtre

Le théâtre le lieu par excellence de tous les possibles, de tous les imaginaires. L’intérieur de l’asile, tout blanc avec de grandes tables à roulettes qui peuvent aussi servir de lits, s’y prête ainsi parfaitement, pouvant être modulé à l’envi. Les comédien·ne·s, comme les fou·lles·s du spectacle se libèrent totalement pour incarner une personnalité qui peut être totalement à l’opposé de la leur. Attention toutefois à ne pas se laisser prendre par le jeu et commencer à ressembler à son personnage. On pourrait sombrer dans la folie… C’est là tout le paradoxe que soulève ce spectacle : au théâtre, on peut transgresser toutes les règles, tous nos interdits quotidiens, puisqu’il s’agit d’une fiction. Mais on peut aussi y prendre goût et ne plus faire la différence entre fiction et réalité. D’où le choix judicieux de se baser sur Les Bacchantes : les fêtes dionysiaques sont le lieu de toutes les transgressions. L’alcool y coule à flots, empoisonnant l’esprit des personnages qui ne sont plus maître·sse·s d’eux/elles-mêmes. Dionysos aurait ainsi permis au théâtre de naître, en transgressant certaines limites de façon plus contrôlée. De quoi revenir à l’essence de cet art…

Et pour y revenir, Une nuit de folie ordinaire reprend un autre code essentiel du théâtre antique : le chœur. Si celui-ci a bien souvent disparu dans les productions contemporaines, il est bel et bien présent au Galpon. Les chants s’enchaînent donc, surgissant de l’un ou l’autre personnage, avec toujours une part de folie. Les dissonances sont ainsi nombreuses, avec un fou ou une folle qui chante plus fort, plus aigu, plus grave, transgressant encore une fois les limites. Mais toute la force de ses moments réside dans la maîtrise parfaite des voix : les dissonances sont ainsi à chaque fois contrôlées et parviennent à une belle harmonie De quoi perturber le public. Et si ce dernier se laissait emmener dans la démence ?

Questionner notre rapport à notre folie intérieure

Durant tout le spectacle, les personnages convoquent des entités non rationnelles. Il y a bien sûr Dionysos, qui se manifeste à travers chacun·e des internés qui sont sur scène, tour à tour. Il s’insinue dans leur esprit pour prendre possession de leur corps et mener la danse. Ce sont aussi d’autres figures marquantes de l’Antiquité qui sont évoquées : de Clytemnestre à Antigone, en passant par Médée ou Cassandre, sans oublier des rois tels Agamemnon… Dialoguant avec iels ou les interprétant, les personnages questionnent à la fois le métier d’acteur·trice – à travers tous les rôles qu’iel peut jouer – et notre propre rapport au passé. Ne nous arrive-t-il pas de vouloir communiquer avec des êtres disparus, se rappelant à leur bon souvenir ?

Une nuit de folie ordinaire, un spectacle qui renvoie à la folie du monde. Le confinement duquel il est né évoque d’ailleurs l’enfermement, comme celui des personnages au sein de l’asile. Leur solitude les conduit à créer des liens avec d’autres entités. Ne voyant personne d’autre que leurs camarades de jeu, il leur faut dès lors se rapprocher d’êtres moins rationnels. De quoi faire le lien avec la folie du monde qui nous entoure ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Une nuit de folie ordinaire, d’après Les Bacchantes d’Euripide, une création du studio d’action théâtrale, du 19 au 24 octobre 2021 au Théâtre du Galpon, dans le cadre des Olympiades théâtrales.

Direction artistique : Gabriel Alvarez

Avec Clara Brancorsini, Marie Brugière, Arnaud Mathey, Sébastien Olivier, Justine Ruchat, Hector Salvador et Solange Schifferdecker

https://galpon.ch/saison/une-nuit-de-folie-ordinaire/

Photos : © Elisa Murcia Artengo

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *