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Suites et variations : Littérature scolaire

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Amaryllis Bosson qui prend la plume. Voici les textes qu’elle imagine, à partir de deux incipits imposés… Bonne lecture !

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Variations : Littérature scolaire

Deux amis faisaient une promenade à cheval le matin. Je répète : Deux amis. Deux amis faisaient. Faisaient… Deux amis faisaient une… Faisaient une… Promenade. Deux amis faisaient une promenade à cheval. À cheval. À cheval le… Le matin. Le matin. Une dernière fois : Deux amis faisaient une promenade à cheval le matin. Soignez l’écriture, soyez attentif à la marque du pluriel et n’oubliez pas de noter nom et prénom en haut à droite de votre copie.

Deux amis faisaient une promenade à cheval le matin. « Que faites-vous dans la vie ? » demanda l’un. – « Je suis physicien, et vous ? », répondit l’autre. « Je suis biologiste. » – « Vous êtes donc un connaisseur de la nature. Tiens, ces chevaux que nous montons par exemple, combien ont-ils de vertèbres ? » – « Ce sont des poneys. » – « Ah. » – [silence] – « C’est que le temps passe » – « Eh, oui. » [silence] – « Quelle heure est-il, au fait ? » demanda le biologiste. – « Oh vous savez l’heure est un concept relatif, purement anthropocentrique. Purement pratique. Finalement le temps ça n’existe pas. » [silence] – « Ah ». Deux inconnus continuaient ainsi une promenade à poney dans un temps indéfini.

Deux amis faisaient une promenade à cheval le matin. Le chemin qu’ils empruntent traverse d’abord une forêt. Ce chemin forme une ligne droite de quinze kilomètres qui rejoint un lac. Le lac en question est parfaitement circulaire. Les deux amis doivent rejoindre la berge qui se trouve pile en face de la fin du chemin. Pour se faire, ils doivent faire le tour du lac. Une fois arrivés de l’autre côté du lac, ils gravissent ensuite la haute colline qui leur fait directement face. La pente est de cinq pour cent exactement. Arrivés en haut de la colline, ils découvrent une fantastique vue : un panorama d’automne recouvert d’une brume épaisse. Ils passent exactement sept minutes à contempler ce beau paysage. L’un d’eux regarde sa montre, elle indique dix heures et quarante-huit minutes. Pressés, ils descendent ensuite l’autre côté de la colline. La descente est plus aisée, bien que la pente soit tout autant escarpée qu’à la montée. Arrivés en bas de la colline, ils traversent des marais denses qui ralentissent leur avancée. L’un des deux chevaux perd un de ses fers. Cela énerve son cavalier qui accuse son ami d’avoir mal ferré son cheval. Cette dispute les forcera à rester statiques douze minutes et trente-cinq secondes. Une fois cette tempête passée, ils sortent de ces maudits marais et empruntent un chemin sinueux de dix-sept kilomètres exactement. Enfin, ils rejoignent l’auberge tant attendue. L’aubergiste les accueille chaleureusement : il est seize heures vingt, juste à temps pour le thé. Sachant que le lac circulaire a un rayon de vingt-cinq kilomètres, que l’un des chevaux (celui qui a perdu son fer) s’arrête toutes les dix minutes pendant trois secondes pour des raisons que lui seul connaît et que le ralentissement causé par la montée de la colline fait perdre aux deux amis le même temps que le temps gagné grâce à l’accélération causée par la descente, calculez l’heure de départ des deux amis, ainsi que leur vitesse moyenne et enfin, l’ennui généré par cet exercice.

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Suite : Écran

La famille était réunie pour le dîner. À travers la fenêtre sans rideaux, on pouvait voir la nuit tropicale. La famille n’est-elle jamais vraiment réunie que pour le diner ? Avant l’invention de la télévision, certainement. La télévision a tout changé dans bon nombre de dynamiques familiales. On regarde séparément un ailleurs commun, l’illusion même de l’union. Quel dérangement dans ces moments que celui qui parle, qui commente, qui tente d’ouvrir le lien direct à l’autre. Souvent, on l’ignore celui-là ; d’ailleurs il ne parle pas vraiment aux membres de la famille en question, il parle à l’ailleurs. Et puis, vous dites que l’on pouvait voir à travers la fenêtre sans rideau. Peut-on voir à travers une fenêtre avec rideau ? Sans-doute pas, on n’aurait pas inventé la télévision dans ce cas. Et vu qu’on l’a inventée croyez-moi, plus personne ne regarde la nuit tropicale, ça donne tout noir à l’écran.

Amaryllis Bosson

Vous souhaitez découvrir d’autres textes produits dans cet Atelier ? N’hésitez pas à vous rendre dans nos pages numériques… et à découvrir une sélection-florilège sur L’Exultoire (le site de l’Atelier).

Photo : © drfuenteshernandez

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