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Vie brève : Mère Poulard Reine des omelettes

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Lola Besson qui prend la plume. Elle vous propose de plonger dans une vie brève, celle d’une femme très à l’aise en cuisine… préparez-vous à avoir l’eau à la bouche ! Bonne lecture !

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Mère Poulard Reine des omelettes

Le 16 avril 1851, à 3h56 du matin, Mme Anne Boutiaut est née dans un petit hôpital à Nevers, une commune située au centre de la France. Anne avait des cheveux blonds comme les blés et des yeux verts perçants, le portrait craché de sa mère disait-on. Anne est la troisième fille de la famille, ses sœurs jumelles Elisabeth et Prunelle avait alors 4 ans lors de sa naissance. La famille Boutiaut est issue du monde paysan ; son père est journalier au maraîchages et sa mère récolte les fruits et légumes dans les champs pour les emmener au marché. A 15 ans à peine, Anne se met au travail. Elle exerce le métier de femme de chambre sous les ordres d’un certain Edouard Corroyer. Anne attise la jalousie de ses sœurs ; son aptitude au travail, son calme et surtout sa beauté et son humour décalé ravivait son entourage. « Anne est si attachante, Anne est si mignonne et si bonne », entendait-on dans les bouches des habitants de la commune. Très vite, la relation entre la cadette et ses deux sœurs devient conflictuelle.

Anne est une jeune fille débrouillarde et volontaire. Elle ne se plaint jamais, bien que parfois la vie dans les champs demande rigueur, discipline et force. Elle aime s’immerger dans la nature et, dès l’âge de 18 ans elle prit goût à la cuisine. Anne apprend avec sa mère et sa tante, qui avaient toutes deux beaucoup de talent dans ce domaine. Rapidement, la jeune fille devient très bonne cuisinière ; elle a l’art de sublimer chaque aliment. Toute la famille la complimente, sauf ses sœurs. En 1872, elle fait la rencontre de Victor Poulard. Le coup de foudre. Quelques années après, les deux jeunes se marient dans une petite église parisienne. Bien qu’elle ne regrette pas sa vie dans les champs, Anne retourne de temps à autres à Nevers pour passer du temps avec ses parents et sa tante adorée. Quelques années après leur mariage, le couple prend en gérance un établissement, nommé « L’hostellerie de la Tête d’or ». Anne se met évidemment aux fourneaux et prépare toutes de sortes de mets de brasserie. Or, les clients reviennent surtout pour un plat : l’omelette baveuse à la ciboulette fraîche et au fromage. Les clients l’interrogent sur les produits et la recette, mais Anne se retient bien de dévoiler ses petits secrets qui font toute la différence. C’est ainsi que le prochain établissement que les Poulard ouvre, prend le nom « À l’omelette renommée de la mère Poulard ». Un établissement bien plus grand, mais avec une petite cuisine peu pratique. La famille de Victor et celle d’Anne s’entendait très bien et profitait de cet établissement pour se retrouver et déguster la fameuse omelette. Son père lui avoue qu’il n’était tout d’abord pas enchanté à l’idées de ce dévouement à la cuisine, il aurait préféré qu’Anne entame des études. Mais il lui confie aussi que les casseroles et le fouet lui vont à merveille et qu’il est heureux de la voir ainsi ravie avec Victor. L’avis de ses parents compte beaucoup pour la jeune fille ; l’approbation de son père lui apparaît donc comme un soulagement.

L’établissement du couple fonctionne à merveille. Aline ne s’en sort plus seule en cuisine et demande à Victor d’engager du personnel. Celui-ci n’hésite pas, toujours prêt à̀ soulager sa femme. Pendant de nombreuses années, l’affaire roule. Des estrangers viennent goûter l’omelette et tous l’approuvent sans exception. Néanmoins, Anne rencontre de grands moments de tristesse ; elle souffre de l’indifférence de ses sœurs. Pas une fois, les jeunes femmes ne sont venues à l’établissement. Outre cette tristesse, Anne est fatiguée de cuisiner et servir du matin au soir. Bien qu’ils aient atteint l’âge de la retraite, Victor veut continuer à travailler, alors il la soutient et l’encourage, mais rien à faire. Anne se renferme de jour en jour et devient très inattentive. Elle oublie d’éteindre le feu sous ses casseroles ou se trompe de clients lors du service. Victor s’inquiète et le lui fait savoir. Un jeudi matin, 11h36, il découvre l’établissement en feu. Anne avait déjà entamé les préparations de l’omelette. C’était déjà trop tard, les flammes avaient tout englouti. Anne décède à l’âge de 68 ans.

Lola Besson

Photo : © tookapic

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