La Geste d’Avant le Temps : épisode 74
Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?
Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.
La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !
Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !
Alors, vous nous suivez ? C’est parti ! Retrouvez le début du feuilleton ICI !
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Épisode 74 : face à lui-même
Décidément… tout ça est vraiment très étrange.
Hypérion ne parvenait pas à s’arracher à ce sentiment, en observant les gens déambuler dans les rues de ce village qui était le sien – sans l’être totalement. Soudain, une fillette déboula devant l’église en courant et en riant. Depuis le rebord du clocher, Hypérion se pencha pour l’observer. Elle était suivie par un petit garçon, tout aussi rieur. La vision des deux enfants laissa Hypérion interdit…
« Elestra… regarde… cette gamine, là » dit-elle en pointant du bec la concernée. « C’est… c’est toi… et le gamin derrière, je crois bien que… c’est moi… Nous n’avons pas seulement voyagé dans l’espace… cette foutue Table de Téléportation nous a aussi fait voyager dans le temps ! »
Nanji, Euridy et Elestra regardèrent à leur tour les deux enfants : impossible de se tromper, la ressemblance était en effet frappante. Elestra reconnaissait sans peine les traits du petit Hypérion avec qui elle avait passé son enfance à arpenter les rues en jouant – même s’il lui semblait que cette époque datait d’une éternité. Alors qu’ils regardaient tous la scène, muets de stupéfaction, la rue s’était vidée de ses habitants. La petite Elestra avait disparu dans une ruelle étroite, laissant Hypérion seul sur la place.
« C’est une grave erreur ! » s’écria Euridy. Elle avait l’air paniquée. « Nous n’avons rien à faire ici et nous ne devons surtout pas interagir avec cette réalité… nous devons absolument retourner à la Table et partir d’ici, avant de provoquer quelque chose d’irrémédiable… les paradoxes temporels sont une véritable plaie et qui sait comment celui-ci pourra tous nous affecter… ? »
Tout en parlant, elle pressait ses compagnons avec insistance :
« Retrouvons Angélus et partons immédiatement ! »
« Elle a raison, partons tout de suite », abonda Nanji en s’envolant et en se dirigeant vers l’extérieur de la ville. « Il n’est sûrement pas là. »
Mais Hypérion restait figé, les yeux fixés sur la jeune version de lui-même, ne pouvant en détacher son regard. Le petit garçon, accroupi dans la poussière, observait attentivement deux poules qui picoraient des graines en tout sérénité. Le cœur d’Hypérion battait la chamade – de nostalgie, d’incertitude, de… soudain, une odeur familière le glaça. Ça sent… derrière le petit Hypérion, dans l’ombre d’une ruelle adjacente, une forme obscure approchait, discernable avec difficulté depuis le sommet du clocher… Un frisson parcouru l’échine d’Hypérion, qui continuait d’observer la scène, impuissant. La charogne… le marécage… La forme se rapprochait irrémédiablement de l’enfant, sans que quiconque ne semblât y porter attention. Il aurait voulu crier, avertir l’enfant. Il jeta un coup d’œil à Euridy qui suivait son regard et hocha la tête avec tristesse : impossible d’agir sans risquer le paradoxe temporel… La forme était quasiment au niveau du jeune Hypérion… quand une autre silhouette, humaine cette fois, arriva en courant. Angélus !
« Par Eien, je vais te faire la peau, foutu Mange-Temps ! » cria-t-il en sautant sur la forme, emporté par l’élan de sa course effrénée. La forme s’arrêta brutalement, surprise dans sa progression, et absorba l’impact du corps d’Angélus, lancé à toute allure. Les deux entités se mêlèrent dans une lutte féroce, jusqu’à se confondre… puis disparurent brutalement dans un bruit sourd, accompagné d’un éclair lumineux. Quand le petit Hypérion se retourna, il n’y avait plus ni l’une, ni l’autre.
« Angélus ! Noooooon ! » cria Elestra dans un piaillement étouffé.
« Il a disparu avec… ça devait être lui ! Cette saleté a dû l’emmener dans les couloirs du Temps en fuyant… Eien sait où ils se trouvent tous les deux… Dépêchez-vous ! Nous avons peut-être encore une chance… » l’interrompit Nanji, les poussant vers les champs où se trouvaient la Table de Téléportation.
Toujours assis par terre, le petit Hypérion sonda la zone du regard. Là où il croyait avoir entendu un bruit, quelques secondes plus tôt, brillait un minuscule caillou. Il le saisit dans la paume de sa main et l’observa avec attention : ce n’était pas un caillou… ça ressemblait plutôt à… à un grain de blé doré.
Au même instant, Hypérion, qui volait à tire-d’aile avec les trois autres colibris-foudre, eut une sensation qu’il connaissait déjà. Il se rappela ce grain doré et le battement qu’il avait ressenti, enfant, lorsqu’il l’avait saisi – cette vibration parfaitement régulière qui était naturellement entrée en résonnance avec son propre cœur, comme un métronome. Ce grain, c’était forcément du secondain, il le comprenait à présent – du secondain qu’Angélus devait sûrement transporter avec lui, et qui était tombé de sa poche.
« Je me souviens de cette journée », dit Hypérion pour lui-même, si bas que les autres ne l’entendirent pas. « C’est à ce moment précis que j’ai décidé de devenir horloger. »
Arnaud Chiaradia (avec des clins d’œil de Magali Bossi)
Photo : ©Skitterphoto
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