La Geste d’Avant le Temps : épisode 77
Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?
Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.
La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !
Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !
Alors, vous nous suivez ? C’est parti ! Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 77 : dans la caverne
Noir. Que du noir. Et ce bourdonnement de plus en plus fort dans les oreilles…
Il essayait de reprendre son souffle, complètement désorienté. Froid… il faisait froid… le sol était dur comme… mais où est-ce que je… ? Lentement, l’esprit d’Angélus se sortit de sa gangue de torpeur. Il ouvrit un œil. Ça faisait mal.
Il se trouvait étendu par terre, jeté sans ménagement sur un sol minéral suintant d’humidité. Ses doigts raclèrent la pierre, quand un brusque mouvement en périphérie de son champ de vision lui coupa le souffle. Il s’immobilisa, le cœur battant, les yeux fermés, terrorisé à l’idée d’avoir été repéré… rien, le mouvement était passé. Entrouvrant les paupières, il entreprit d’examiner ce qui l’entourait, le plus discrètement possible. À ce qu’il pouvait apercevoir, il se trouvait sur le dallage d’une immense salle – du moins, ce qui semblait être une salle, car l’obscurité déchiquetait le contour des murs, l’empêchant d’appréhender pleinement le volume de l’endroit. On l’avait jeté au pied d’une structure architecturale massive… devant laquelle la pierre paraissait luire d’un éclat rouge sombre qui n’avait rien d’engageant… un escalier, ça ressemble à un escalier…
D’un coup, son odorat se remit en marche, tournant soudain à plein régime… l’odeur ! Celle qui l’avait accompagné quand il s’était jeté à la poursuite de leur ennemi ! Charogne et marécage… il n’est pas loin… La peur le paralysait, lui assurant une immobilité relative qui empêcherait son ennemi de s’intéresser de trop près à lui – du moins l’espérait-il. S’il me croit endormi… évanoui… peut-être le monstre ne l’attaquerait-il pas ? Ou, en tout cas… pas tout de suite. Oui. Mieux valait continuer de faire le mort.
Entrouvrant davantage sa paupière droite, il prit le temps de s’habituer à la semi-pénombre. Progressivement, des détails lui apparurent. Malgré les colonnes sculptées dans la roche, l’endroit ressemblait à une caverne – une gueule d’ombre, que les concrétions minérales garnissaient de crocs affamés. La salle était remplie… d’objets, de machines qui cliquetaient, tournaient, sonnaient, carillonnaient. Il savait ce qu’étaient ces choses. Il n’en possédait pas lui-même, mais les Voyageurs Temporels s’en servaient et il en avait vu plusieurs, un jour qu’il rendait visite à son oncle : d’après Sexte, ces instruments complexes servaient à mesurer le Temps dans certaines Galaxies. On les appelait montres, horloges, clepsydres… Elles quantifiaient le Temps, non pas à la façon d’un volume de grain à mettre dans des sacs, mais comme une donnée invisible qui s’écoulait dans l’esprit de ceux qui s’y soumettaient… et qu’on ne pouvait pas toucher. Quelle étrange idée, s’était dit Angélus à cette époque. Moi, je mesure toujours le temps à l’œil et j’affine mes résultats avec ma vieille balance à fléau. C’était ce que les cultempvateurs de Rizator-III avaient toujours fait. Évidemment, à présent qu’il avait rencontré Hypérion et Elestra, il comprenait un peu mieux comment les habitants des autres planètes se représentaient le Temps.
La caverne était remplie de ces machines, entassées sans ordre sur plusieurs mètres… il y en avait de toutes petites, en forme de minuscules disques posés sur des lanières de cuir ou de métal… d’autres étaient plus grandes, avec des pieds tarabiscotés et des décorations multicolores… certaines avaient le balancier arraché, les aiguilles tordues, le cadran éventré… il y en avait de semblables à de petites maisons de bois… et d’autres, en verre, contenaient du sable… une de ces choses étaient même couvertes de plumes rousses…
… de plumes ?!
° ° °
Hypérion reprenait ses esprits. Le sol était froid et dur.
Au-dessus de lui, un plafond vertigineux se perdait dans la pénombre. On dirait… une caverne. Plus humide que celle où le Mange-Temps qui se faisait appeler Je’An lui avait tendu son piège, il y avait si longtemps. En y repensant, tout ça lui paraissait appartenir à une autre vie. Une douleur aiguë le ramena à la réalité – quelque chose… quelque chose appuyait dans son dos. Apparemment, il avait repris son apparence humaine en arrivant ici. Ce n’était pas plus mal : se transformer en poule avait eu quelque chose de moins exaltant que de se glisser dans le corps minuscule d’un colibri-foudre. Il chercha à tâtons, toujours couché par terre, les jambes encore tremblantes… et ses doigts ripèrent sur un objet rond et aplati, qu’il attrapa pour le lever jusqu’à son visage. Une montre à gousset. Comment s’était-elle retrouvée là ?!
C’est alors que, se redressant, il prit réellement conscience d’où il était.
Il avait atterri au pied d’une gigantesque montagne d’objets hétéroclites : horloges, clepsydres, montres, coucous, sabliers, cadrans solaires, métronomes… tout, tout ce qui permettait de mesurer le Temps s’amoncelait là, dans un équilibre aussi précaire que la valse des secondes face à une horde de Mange-Temps affamés. Un bel endroit, se dit-il, l’endroit rêvé pour un horloger. Malgré lui, un sourire lui monta aux lèvres – avant de se figer avec horreur. Cette odeur…
La Néantine, elle aussi, l’avait senti. Elle bourdonnait en émettant une faible lueur verte ; on aurait dit un prédateur se rapprochant de sa proie… Qui chasse qui ? se demanda Hypérion, effrayé mais heureux de sentir l’épée à ses côtés. Il se sentait moins démuni, avec elle. Contrairement à lui, l’arme savait exactement ce qu’elle devait faire, elle le sentait… alors que lui, malgré le coup de tête qui l’avait poussé à jouer les aventuriers et à se précipiter au secours d’Elestra, était juste apprenti-horloger. Un mouvement, sur sa gauche, attira son attention : Elestra avait, elle aussi, retrouvé son apparence. Ils avaient atterri non loin de la Table de Téléportation, dont le plateau reposait toujours, en parfait équilibre, sur le pied unique. Elestra lui tendait la main, pour l’aider à se relever. Il la saisit avec reconnaissance et elle le sera brièvement contre elle lorsqu’il fut debout :
« T’inquiète pas. On va s’en sortir. »
Elle le relâcha, la détermination transformant sa bouche en un rictus sauvage qu’il ne lui connaissait pas. Elle paraissait si sûre d’elle, sa harpe serrée contre elle et ses joues égratignées par leurs pérégrinations… il aurait bien voulu partager sa certitude. Il ouvrit la bouche, pour la remercier, peut-être – mais l’épée tira sur son bras et il ravala sa salive. Ce n’était pas vraiment le moment : il était là, tout proche, celui qui se faisait autrefois appeler Je’An… l’odeur du Mange-Temps flottait, plus présente que jamais. Où est-il ?
Sylvie Bossi
Photo : ©PatternPictures
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