Les réverbères : arts vivants

Dans Les Ruines, difficile de tout reconstruire

Nous avions laissé les personnages de Vous êtes ici après l’effondrement de leur immeuble à l’issue de l’épisode 1. Dans l’épisode 2, Les Ruines, il leur faut s’acclimater à leur nouvelle situation, et ce n’est pas simple pour tout le monde… À voir au POCHE/GVE jusqu’au 13 octobre.

Changement de décor après l’effondrement : de La chambre à lessive il ne reste plus grand-chose, si ce n’est un plafond écroulé posé en travers de la scène, et quelques trous. Les Ruines porte décidément parfaitement son nom. Mais ces ruines ne sont pas que celles du bâtiment : la communauté n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ada est malade et n’apparaît dans ce deuxième opus, Joao est mort, Lukas décide de partir explorer les failles et, pourquoi pas, en faire un film… Rien ne sera plus comme avant, et cela, tout le monde en est bien conscient.

De nouveaux personnages

Pour l’occasion, nous faisons la connaissance de trois nouvelles têtes. Il y a d’abord Cassandra, l’esthéticienne espagnole, pour laquelle Claude-Inga Barbey propose un accent irréprochable. Sa particularité ? Les morts parlent à travers elle. Joao peut ainsi reprendre contact avec Mad, alors que Miguel aura enfin des nouvelles de son fils, quinze ans après le départ de celui-ci. Un véritable soulagement pour lui, après tout ce temps où ils étaient brouillés. Avec ses remarques très terre à terre sur les cigarettes ou le thé, Cassandra apporte un bol d’humour dans ce décor désolé. Une nouvelle Camille apparaît (Nora Steinig), très préoccupée par les questions féministes et égalitaires. Comme pour les autres Camille, le dialogue avec Miguel ne sera pas aisé… Enfin, dernier personnage inédit : Kaveh. On ne sait pas grand-chose de lui, si ce n’est qu’il a commencé à explorer les failles. Présenté comme quelqu’un ayant encore la tête sur les épaules, il semble prêt à endosser le rôle d’organisateur. S’il reste encore mystérieux jusque-là, on ne doute pas qu’il aura un grand rôle à jouer dans cette histoire.

Montrer la détresse

Dans ce deuxième épisode, on rit beaucoup moins que dans le précédent. On pouvait s’y attendre, celui-ci n’étant pas présenté comme une comédie. Et au vu de la situation des personnages… Grâce à Cassandra, Miguel et Alice principalement, on entend tout de même le public pouffer régulièrement. Des respirations bienvenues dans cette ambiance lourde. Cette ambiance, c’est celle de la détresse, que Manon Krüttli parvient à transcrire avec un grand brio dans sa mise en scène. Les éclairages sont froids la plupart du temps, pour bien signifier la désolation du lieu. Les personnages parlent souvent en même temps, si bien qu’on peine à distinguer toutes les conversations. Par ce biais, on signifie au public ce sentiment d’enfermement de ces personnages qui ne s’écoutent plus, à force d’être les uns sur les autres. Preuve en est avec Mad qui, dans les premières scènes, reste prostrée en fond de scène, parle de Joao et de ses souvenirs avec lui dans un discours à peine audible. Elle est sans doute la plus marquée par cette situation.

On assiste également à une exacerbation des tensions entre les personnages, à commencer par Lukas et Alice. Bien qu’il fasse tous les efforts pour tenter d’apaiser sa compagne, celle-ci ne lui pardonne pas son apparent manque d’empathie suite à la disparition de sa sœur. Alors, quand il décide de la laisser seule avec le bébé, elle qui peine tant à s’en occuper… La relation entre les Camille et Miguel n’est toujours pas simple non plus : entre les remarques toujours déplacées du concierge et son refus d’héberger les jeunes au milieu des affaires de sa défunte femme et de son fils (sans compter son attirance pour Cassandra), rien ne permet d’améliorer la situation. Au contraire, l’intervention d’un nouveau personnage très engagé dans la question féministe ne fait qu’exacerber cette tension.

Enfin, on notera le grand nombre de moments de silence. D’aucuns diront qu’il s’agit de longueurs pas vraiment nécessaire, mais ce n’est pas le cas. La meilleure preuve est sans doute la reprise collective de J’aurais bien voulu de Jacques Higelin et Areski Belkacem et son fameux refrain « J’aurais bien voulu t’écrire une chanson d’amour, mais par les temps qui courent, ce n’est pas chose commode. » On perçoit l’agacement et les rires nerveux du public qui se demande quand se terminera la chanson. Sans aucun doute une grande réussite de cette mise en scène, qui parvient à transmettre en direct, en partie, ce que ressentent les personnages : un ennui face à cette situation difficile dont ils ne voient pas la fin. Ils tournent en rond. Cette belle reprise marque également le seul moment de communion entre tout le groupe, avant que les Camille ne sortent de scène – sûrement pour aller s’occuper des champignons dont ils veulent se servir pour s’éclairer. Il y a un basculement dès ce moment-là, où l’on sent que l’organisation de la suite des opérations commence à se mettre en place.

À travers cette mise en scène de la détresse et de la désolation, ce sont les paysages intérieurs de la communauté que nous percevons. Difficile donc de reprocher le manque de rythme de ce deuxième épisode, qui devient presque un éloge de la lenteur, dans ce monde d’après. Une situation qui n’est pas sans rappeler notre confinement, durant lequel nous avons tenté d’apprendre à vivre moins vite. Mais la réalité nous a bien vite rattrapés. Qu’en sera-t-il de cette saga ? On en saura certainement un peu plus dans l’épisode 3, Les voyages, à partir du 3 novembre au Théâtre de l’Usine.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Vous êtes ici – épisode 2 : Les Ruines, de Stéphane Bouquet, du 5 au 13 octobre 2020 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Rébecca Balestra, Claude-Inga Barbey, Juan Antonio Crespillo, Baptiste Gilliéron, Maxime Gorbatchevsky, Noémie Griess, Aurélien Gschwind, Karim Kadjar, et Nora Steinig.

https://poche—gve.ch/spectacle/vous-etes-ici-une-serie-au-theatre/

https://www.vousetesici.ch/episodes/episode-2

Photo : © Samuel Rubio

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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