Les réverbères : arts vivants

Faire théâtre de tout (2)

Après une première partie de saison qui a parfaitement correspondu à ce qui avait été annoncé, basculons sur 2025 avec la suite d’un menu qui ne sait toujours pas où donner de la tête tant sa diversité est riche et qu’on a envie de goûter à tout.

Elle nous avait promis de l’intranquillité ? On a été servi avec Parralax et Familie. Elle nous avait promis du politique ? On a été comblé avec Hécube, pas Hécube. Elle nous avait promis de la poésie ? Boule à neige vient nous toucher au cœur. Séverine Chavrier rassemble bien les styles théâtraux dans un œcuménisme artistico-social qui donne puissamment à découvrir, à penser et à rêver.

« Tant qu’il n’a pas été satisfait une première fois, le besoin ne connaît pas son objet », disait l’économiste Wassily Leontief. La directrice de la Comédie possède cet art de nous sortir de l’inconscience de nos manques pour donner envie d’explorer mille formes théâtrales. Nous sommes bien dans l’héritage de Vitez[1] qui réclamait « un théâtre élitaire pour tous ».

Ci-après, quelques perles pour la suite de cette incroyable saison qui va continuer à catalyser nos émotions, nourrir nos imaginaires et donner à penser cette terrible chance d’exister :

  • Absalon, Absalon ! de William Faulkner, mis en scène justement par Séverine Chavrier qui croise les multiples entrées du célèbre roman ancré dans la guerre de Sécession pour en reconstituer la trame tragique entre théâtre, vidéo, musique live et danse coupé-décalé. Comme un puzzle explosé par un coup de canon, c’est la trajectoire d’un homme assoiffé de reconnaissance sociale qui, malgré son pouvoir, n’arrive pas à construire une histoire familiale. Un spectacle-événement « prodigieux d’intelligence et d’invention formelle » (Le Monde).
  • Dernière expédition au pays des merveilles, conçu par le Collectif OperaLab.ch. Un opéra pluridisciplinaire expérimental à partir d’une adaptation du célèbre roman de Lewis Caroll porté par des jeunes diplômées et diplômés du spectacle vivant. Une partition prometteuse pour quinze musiciennes et musiciens et chanteuses et chanteurs.
  • Début février, deux spectacles-performances avec le Japon en toile de fond. L’un, Maître Obscur de Kurô Tanino, sur l’emprise de l’intelligence artificielle dans nos quotidiens. Et l’autre, Hiku, d’Anne-Sophie Turion et Éric Minh Cuong Castaing, sur la thématique sociale de l’isolement volontaire de milliers d’individus qui ont décidé de se couper du monde en restant chez eux.
  • Qui som ? par la compagnie Baro d’evel. Un spectacle exubérant, polyphonique et onirique, présenté à Avignon en 2024. Danseurs et danseuses, musiciens et musiciennes, comédiens et comédiennes, acrobates, céramistes, clowns, artistes de divers horizons et générations fabriquent collectivement une grande célébration poétique.
  • Fin février, dans le cadre du festival Antigel, c’est l’Argentine qui sera à l’honneur avec deux spectacles, l’un de danse, l’autre de théâtre : Zonder de Ayelen Parolin et Los dias afuera de Lola Arias. Le premier explorera les liens qui relient la danse contemporaine et l’humour pour dire la joie des plaisirs spontanés et simples à contre-courant de l’hyper-contrôle social. L’autre, entre documentaire et fiction, nous immergera dans le quotidien carcéral de six femmes condamnées pour trafic de drogue. Écoutons-les s’imaginer un nouvel avenir…

  • Le subjuguant Joël Pommerat amènera un public déjà conquis aux portes du printemps avec son Marius, librement inspiré de Marcel Pagnol et qui montre une vérité plus crue que la version originale en se nourrissant notamment du travail de création théâtrale que le metteur en scène mène depuis dix ans dans une prison française. Son adaptation est une quête de liberté qui fait le pari de ne pas trahir l’esprit de la pièce. On parie ?
  • Les beaux jours verront s’ouvrir un Focus Créatrices qui permettra à sept artistes romandes de nous faire vivre des expériences pluridisciplinaires. On y verra, entres autres perles, une des pièces les plus géniales et patriarcales du répertoire, Cyrano de Bergerac interprété uniquement par des femmes sous la direction de Lola Giouse. De quoi faire se retourner Edmond Rostand dans sa tombe. Il y aura aussi une réécriture du mythe d’Hercule par Dürrenmatt signé Giulia Rumasuglia et qui proposera de mettre à jour un anti-héros sensible et queer en mal de tendresse. La reprise événement de l’inclassable Cécile de Manon Duval nous donnera également à n’en point douter notre lot d’émotions tout comme la carte blanche laissée à la performeuse Jeanne Spaeter.
  • S’ensuivra Viva, un festival d’arts vivants dédié aux jeunes de 12 à 20 ans qui regroupent trois scènes des Eaux-Vives : le Théâtre Am Stram Gram, le Pavillon ADC et la Comédie. La directrice des lieux y créera Aria de Capo qui parle de la construction du désir face à un monde ouvert à tous les possibles.

  • L’été se fera attendre avec le dyptique de Marc Lainé : Nos paysages mineurs et En finir avec leur histoire. Dans ces deux spectacles qui racontent, à seize ans d’intervalle, l’histoire d’amour de Liliane et Paul et ce qu’il en a suivi, le metteur en scène et scénographe poursuit ses recherches à la croisée du théâtre et du cinéma pour brosser un portrait tout en nuances d’un couple de boomers désenchantés.
  • Une proposition hors les murs et en hauteur sera faite avec Perchée, l’histoire d’une jeune femme qui a décidé de vivre dans les arbres. Réactualisant le propos du roman d’Italo Calvino, Mathieu Brossard et le collectif CCC aborde avec humour la délicate question sociétale des enjeux écologiques actuels qui nécessite révolte et désobéissance
  • Soulignons encore la performance secouante de Yann Marussich, Le corps manquant, sur l’exploration du vécu des personnes amputées qui parle du manque, de la guerre mais surtout de dignité et de force de vie.
  • Finalement, le mois de juin sera l’occasion d’accueillir des avants-premières exceptionnelles de plusieurs créateurices se préparant aux grands festivals de l’été. Nous découvrirons ainsi les dernières trouvailles de la virtuose excentrique Vimala Pons (no change for the members) autour de la réduction de notre temps de concentration et celles de la débridée Manon Duval (Le retour) prête à faire face à la fin du monde capitaliste ou encore les mouvements étonnants de l’alliage entre danse et pyrotechnie du jeune chorégraphe Némo Flouret (Derniers feux).

Voilà quelques pépites au menu de la deuxième partie de ce buffet pantagruélo-culturel de la Comédie. Nous vous laissons le plaisir de le découvrir encore plus en détail via le site ou la belle brochure qui contient des approfondissements, des entretiens, des regards croisés, …

Dans l’intervalle, devant la variété des spectacles proposés, nous restons encore et toujours comme ce petit enfant qui piaffe devant le sapin, en attendant de pouvoir ouvrir tous ces cadeaux… avec l’impression que cela va être Noël toute l’année.

Stéphane Michaud

La programmation complète et les détails de chaque spectacle sont à retrouver sur le site de la Comédie.

Photos : (dans l’ordre) ©Anne-Sophie Guillet, ©Alexandre Ah-Kye, ©Aline Paley, ©Eugenia Kais et ©Agathe Pommerat.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Vitez

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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